La suppression de l’Histoire en Terminale S est une ineptie !
La suppression ou, du moins, la transformation en option de l’Histoire-Géo en classe de Terminale Scientifique peut sembler au premier abord être une mesure de bon sens et à même de parvenir à l’objectif avoué de redonner à chaque filière son caractère spécifique.
Dans la logique cloisonné de la réforme du lycée, qui trouve un large écho dans une certaine frange de intelligentsia réformatrice, cela parait logique. La section scientifique est là pour former de futurs scientifiques, des ingénieurs, des laborantins, etc… Quel besoin ont-ils de matières secondaires qui n’auront pas d’applications directes dans leur future profession. Cela permet en effet de libérer de « l’espace-temps » pour y loger un peu plus des matières brutes, des matières centrales (maths, sciences, etc.).
Après tout, les littéraires n’ont plus de sciences en Terminale. Tout juste une option Maths, et encore, pas dans tous les lycées.
Alors, dans la liste des matières dispensées en Terminale Scientifique, on a tiré au sort au ministère laquelle serait éjectée pour, dit-on, « redéfinir et requalifier » la section S. Et c’est tombé sur l’Histoire-Géo. Ça aurait pu être la philo, mais il s’agit d’une matière qui n’est dispensée qu’en terminale. Il semblait difficile par conséquent de l’anticiper au risque de créer une distorsion trop grande et de déséquilibrer tout le système.
Alors, dans les arcanes du ministère, on a eu une autre idée. On s’est souvenu que dans d’autres section, comme STL ou STI, une anticipation de l’épreuve d’Histoire-Géo était déjà la règle depuis quelques années, et pour autant ils ne sont pas plus arriérés que les autres (sauf qu’on oublie de dire qu’en général c’est à l’entrée qu’ils sont moins performants que les autres et que les volumes horaires sont vraiment ridicules). Et puis, au ministère, on considère que les épreuves anticipées, ça marche ! La preuve, il y en a dans toutes les sections, et puis c’est très dans l’air du temps, puisque de toute façon on a acté qu’il était impossible d’évaluer sur toutes les connaissances en fin de Terminale dans un examen général au motif que ce serait trop massif pour les élèves (les pauvres !).
C’était donc décidé. On ferait dire à Richard Descoing qu’il suffisait de rendre l’Histoire-Géo optionnelle en terminale S et de compenser par le déplacement des heures de terminale en classe de première en intégrant, comme par magie (car ce n’était pas le cas au départ) l’Histoire-Géo dans le tronc commun.
L’objectif on l’a dit est de « gagner du temps » d’enseignement afin de dispenser plus d’enseignements à vocation scientifique en épurant l’emploi du temps des matières dites « inutiles » ou « non rentables ». Oui, mais alors, si on libère du temps en Terminale en déplaçant les heures en première tout en rajoutant des heures de sciences en terminale, on se dirige vers un accroissement global du volume horaire, et ce n’est pas franchement jugé très tendance au ministère à une époque où on trouve déjà que nos chérubins travaille déjà trop.
Il faut donc équilibrer. Ça tombe bien, on avait déjà retravaillé le volume horaire de l’Histoire-Géo pour tout le monde. Une demi-heure en moins en classe de seconde et le tour est joué !
On parvient à une redéfinition plus stricte de chaque section. Les vaches avec les vaches et les cochons avec les cochons et les profs d’Histoire-Géo seront bien gardés !
Reste que passé ce constat et ce bilan comptable d’heures de cours et derrière la théorie, il y a la pratique, ce qui n’est pas une simple variable d’ajustement lorsqu’il s’agit d’éducation.
Car au-delà de l’apparente envie de bien faire se dissimule en réalité plus d’une contradiction. L’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est bien connu. Et en la matière Luc Chatel peut toujours se reconvertir dans la gestion d’un Gedimat aux portes de l’enfer…
Parce que, pour une fois, on a presque plus entendu les pros que les antis. Un comble !
Que disent les anti ? Et bien principalement que cette mesure est en réalité contre-productive. En effet, en voulant « gagner du temps » et enseigner plus de sciences en terminale S au détriment de l’Histoire-Géo, c’est la culture générale, l’esprit critique et, au final, une partie de l’éducation qui va faire défaut à ces élèves. Car il ne faut pas se faire d’illusions : que l’on forme la jeunesse à leurs futurs métiers et aux métiers dont à besoin la France, c’est très bien. Mais en dehors du travail, il y a la vie, le monde et tout ce qui va avec. Cela implique la conscience citoyenne, la perception du monde et de sa complexité. Et ce n’est certainement pas en bâclant les programmes d’Histoire et de Géographie que l’on fera de bon citoyens français et du monde. Comme le notait Benjamin Stora : « Pour comprendre le monde compliqué dans lequel nous vivons il faut une formation de longue haleine ».
Et c’est là le point de friction avec les pros. Pour eux, comme on le notait précédemment, un futur médecin, un futur ingénieur, n’a que faire de savoir blanc d’Henri IV était blanc ou que la police est allemande s’appelait la Stasi. Certes. Pour diagnostiquer un infarctus il n’est pas nécessaire de connaître les dates de règne de Nicolas II ou la longueur du Tibre. Mais, pour comprendre les enjeux de la construction européenne ou bien les raisons d’un conflit, n’est-il pas nécessaire d’avoir une sous couche de culture à même de faire de ce même médecin un acteur du monde et un être éclairé au-delà de son domaine seul domaine de compétence initial ? A une époque où l’on prône la bi ou trivalence pour les enseignants, on voudrait nous faire croire que les élèves issus de S seraient très compétents dans leur domaine mais mono tâche ?
Passons à un rapide inventaire pour terminer de quelques inepties bien senties que l’on a entendu ici et là :
Si la réforme a provoqué une levée de bouclier, c’est bien entendu, selon les pros, parce qu’il est impossible de toucher à l’éducation sans s’attirer les foudres des immondes gauchistes qui la peuple. Comme cela a trop souvent été le cas par le passé, on ne peut guère leur contester cet argument. Malheureusement, là où, autrefois, une réforme provoquait grève et contestation irraisonnée sur le terrain, ce sont les universitaires et quelques people du monde artistique ou politique, sans oublier les étudiants de ces deux filières (faudrait voir à pas les oublier !) qui sont montés au créneau à travers un discours clair, cohérent et argumenté.
Des arguments qu’a voulu démonter le ministre dans une vidéo (interdite au commentaires… vive le web 2.0) en expliquant par le menu que le volume horaire ne diminuerait pas (sic), un argument repris par Christophe Barbier de l’Express, alors que sur France 2, au journal de 20h, on explique le contraire.
En résumé : actuellement, un lycéen en S a : 3h d’Histoire-Géo par semaine en seconde, 2h30 en 1ere et 2h30 en terminale. Avec la réforme, les 2h30 de terminale disparaissent et sont remplacées par 1h30 en plus par semaine en 1ere ce qui porte effectivement le total à 4h par semaine. Enfin, il ne reste plus que 2h30 en seconde.
Donc actuellement on a : 3 +2.5+2.5 = 8h. Avec la réforme on passe à : 2.5+4 = 6h30, ce qui représente une perte de 1h30 par semaine sur tout le lycée…
Difficile de nier l’hémorragie… « Au temps, suspend ton vol »
Mais plus encore, M. Chatel poursuit en invoquant que grâce à « cette augmentation de la place de l’Histoire (exit la Géo au passage) et à sa consécration dans le cursus (sic) » il sera possible aux élèves scientifiques d’étudier des choses qu’ils ne voyaient pas jusque-là ! Notamment la 3eme république. On a hâte de voir ça ! Au-delà du sérieux doute que cette période n’ait jamais été abordée ne serait-ce que par le prisme des conflits Franco-Allemands…
Autre argument contestable de Christophe Barbier, qui lui est contre mais sans trop taper dessus : « il ne faut pas interrompre l’enseignement de l’Histoire en terminale S pour ceux, nombreux qui accèdent ensuite à une classe prépa littéraire ». Et là, le serpent se mord la queue (désolé Christophe !). Car oui, c’est bien justement pour lutter contre cette contradiction que cette mesure a été inventée. S’il n’y a plus d’Histoire-Géo en Terminale S, les élèves de cette section n’auront plus cette sotte idée de vouloir entrer en Khâgne ou Hypokhâgne ! C’est vrai ça. Non mais… C’est quoi cette jeunesse qui choisit un parcours et qui, au final s’oriente dans un cursus différent ? On en oublierait presque que cette réforme est proposé par un gouvernement qui a en son sein l’élève Besson qui a commencé son cursus au PS avant de s’orienter vers l’UMP…
Reste le dernier argument : même les plus grands lettrés ont eu et auront besoin de savoir compter. Dire donc que l’Histoire et la Géographie ne servent à rien pour des scientifiques revient à prononcer une vulgaire ânerie ! L’Histoire et la Géographie forment l’identité; pas l’identité nationale made in UMP, mais la vraie identité. Celle d’une communauté, d’une Histoire, d’un territoire, d’une planète. Comprendre ses enjeux, sa diversité, ses équilibres, comment elle s’est construite permet de s’armer pour affronter le monde d’aujourd’hui qui ne sera pas le seul terrain de jeu des scientistes de tout poil.
Alors, on en revient à la question « est-ce une bonne réforme du lycée ? ». Non, en tout état cause. Malgré ce que peuvent en penser les plus éminents spécialistes des rythmes scolaires et autres pédagogues soixante-huitards, un véritable baccalauréat en fin de terminale portant sur l’ensemble des disciplines redonnerait de la valeur au diplôme en pus de permettre une véritable formation complète et performante à même de former convenablement notre jeunesse et les préparer à un enseignement supérieur cette fois-ci spécialisé.
L’anticipation de la spécialisation est une fausse solution et ne résoudra pas la question de l’allongement de la durée des études. Un véritable lycée général sur trois ans, avec quelques options afin de se pré-spécialiser, avec un bac qui en terminerait avec ses coefficients délirants et ce jeu ridicule de self-service du contrôle des connaissances et cesserait d’habituer les élèves, futurs étudiants, à une stratégie du passage des examens, pourrait être un juste retour aux fondamentaux de l’enseignement en adéquation avec les enjeux du monde contemporain.
Un commentaire
garoloo
Parmi tous ceux qui s’expriment combien ont fait une filière S ? je sais cela n’empêche pas d’en parler, mais quand même … je suis songeur !
J’y suis personnellement passé, le français étant déjà facultatif en terminale C (à l’époque) et je dois dire que le travail en histoire était baclé car les principaux coefficients étaient en Math / Physique . De toutes manières l’Histoire/Géo était négligée pour le bac car pas « rentable » en rapport travail/résultats ‘et oui on en était déjà là 😉 mais regardez le programme et essayez de conjuguer le tout ! On va bondir mais l’emploi du temps n’est pas extensible et je pense que rééquilibrer les matières entre la première et la terminale est une bonne chose pour justement focaliser dessus (H-G et Fçais) à bon escient et avec du recul.
On pourra pousser des cris d’orfraie mais je ne trouve pas cela choquant et c’est même une des seules mesures Sarkozy que j’approuverais.
Voila c’était juste mon avis de scientifique