Humeur,  Tech

Un Huis-clos pas très net

Je re-publie cette note, désespérément trop longue au goût de certains journalistes (mais elle n’a pas vocation a être journalistique), plus d’un an après, parce qu’elle n’avait pas déplue, et que, malgré son ancienneté, j’en reste assez fier !

C’est aujourd’hui l’avant dernier jour de l’expérience du « Huis-Clos sur le Net » conduite par cinq journalistes de radio francophones. A la demande de Benjamin Muller, journaliste à France Info, je vais tenter de livrer un avis sur cette expérience d’un genre nouveau et d’en livrer quelques enseignements avant la grand-messe de conclusion orchestrée par David Abiker (J’attends toujours ma boîte de confit d’oie au passage). Bien entendu, tout a été plus ou moins dit sur le sujet, par des internautes, des sociologues, des journalistes…  Mais alors que nous approchons du dénouement et du retour à la civilisation des reclus du Périgord, qu’en retenir ?

  • Qu’est ce que le « Huis-Clos sur le Net » ?

Pour commencer, revenons tout d’abord sur la définition de ce qu’est, ou de ce que voulait être le Huis-Clos du Net. Le challenge consistait en ce que cinq journalistes francophones, exerçant leur profession à la radio, se coupent du monde en s’enfermant dans un gîte dans le Périgord. Coupés de tout (journaux, télévisions, passants, téléphone, etc…) mais uniquement branchés à Internet, les cinq « lofteurs » veulent observer s’il est possible de n’être informé uniquement qu’à travers les réseaux sociaux que sont Twitter et Facebook. Ils prohibent donc la consultation de leurs mails, des forums, et de tout autre site internet. Seule exception : ils peuvent consulter les pages dont le lien était présent dans un tweet ou sur Facebook.
Le but de cette expérience est multiple. Il s’agit de voir si, par ces seuls réseaux, il est possible d’être aussi bien informé que par les vecteurs traditionnels (radio, télé, site d’info, etc…) c’est à dire si, à travers les informations qui transpirent sur les timeline Twitter ou Facebook il est possible d’avoir une vision claire et exhaustive de l’information ou si, comme se plaisent à le dire une bonne partie des journalistes, ces réseaux ne sont que des nids à rumeurs et autres informations invérifiables.
D’ailleurs, ce type d’expérience est parfaitement déclinable sur d’autres modes. On pourrait très bien envisager qu’un journaliste lambda reste une journée entière assis dans un bus urbain en ayant, pour seule source d’information que les discussions des gens et, éventuellement les journaux qu’ils tiendraient dans leurs mains, les conversations s’apparentant aux Tweets et les journaux aux liens contenus dans ces mêmes messages.

Passé cette définition et ce constat, l’expérience en elle-même se fonde sur un certain nombre de questions – légitimes ou non – de présupposés, d’idées reçues, d’interrogations, de remises en questions et sur une certaine peur du monde journalistique traditionnel et pose à elle seule l’ambiguïté de certaines définitions. Tout ceci forme le contexte et l’état d’esprit dans lequel a été pensée, préparée et conduite cette expérience.

  • La presse et les médias face au Net

Le postulat de départ est donc simple : beaucoup d’informations circulent sur Internet et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. « Nous, journalistes traditionnels et formés à ce métier, nous sommes confrontés à une compétition avec le Net qui entre en concurrence avec les vecteurs classiques d’information. Nous ne pouvons plus ignorer que le net est une source d’information. Nous allons donc vérifier si, d’une part, les informations qui circulent sur le Net et sur les réseaux sociaux en particulier sont réelles et fiables et si, d’autre part, dans la mesure où, effectivement, nous constaterions que la majorité de ce qui y circule est juste et fiable, il est donc possible de ne se tenir informé uniquement par ce média et ces réseaux. »
En effet, presque plus aucun journal ou émission ne fait plus référence même brièvement à internet, aux phénomènes qui s’y produise ou aux informations qu’on y apprend. Cela va même maintenant jusqu’à relayer des statuts sur des pages Facebook d’hommes politique (exemple du message de Nicolas Sarkozy suite au désistement de son fils pour la présidence de l’EPAD) ou à trouver des infos brutes sur Twitter, disponible nulle part ailleurs (émergence de la dispute entre Lance Armstrong et Alberto Contador lors du dernier Tour de France avec un message du 1er sur son fil Twitter).
Bref. Le net et les réseaux sociaux ont pris une bonne place dans la fabrique de l’information. Ils s’affirment comme relais d’informations brutes à travers la publication de liens (qui peuvent renvoyer vers des déclarations, des communiqués, etc…) ou la publication d’informations en tant que telles dans un message en 140 caractères ou dans un article sur Facebook. Dans les deux cas, les réseaux sont la source de diffusion de l’information brute, une information qui sera ensuite commentée et analysée.
Ce qui est nouveau, c’est cet accès et cette diffusion du contenu brut. Auparavant, les médias retranscrivaient ces infos, se fondant sur le contenu brut, mais ce dernier était inaccessible au commun des mortels. Désormais, puisque chacun y a accès sans autre forme de problème que de savoir détecter par quel biais trouver cette information (ce qui reviens à trouver les bons contacts), tout le monde peut être un commentateur de l’info, que ce soit à travers un blog ou même via ses réseaux sociaux. Cela donne naissance à une nouvelle forme de journalisme, sans doute moins professionnelle, mais sans doute plus authentique. Car le journaliste n’est pas seulement celui qui détecte l’information, qui la travaille pour la rendre compréhensible, c’est aussi et peut-être surtout celui qui la met en perspective, en liaison avec d’autres informations, qui la caractérise… Bref, un internaute qui se livrera à un concours de vannes sur un évènement ou une info quelconque est tout autant journaliste et commentateur que le pigiste ou le journaliste chevronné qui se lance dans une péroré stadardisante.

Dès lors, les réseaux sociaux sont tout autant pour les médias traditionnels un concurrent – et donc une menace – qu’un atout et un outil de développement. La question se pose donc désormais pour eux de savoir comment tirer parti des nouvelles technologies, d’internet et des réseaux sociaux. Chaque chaîne ou station de radio a désormais sa rubrique Web, Buzz, Techno, Geek, etc… (Au passage, faire une chronique sur le Web à la radio me semble être un pari risqué puisque le web est à 75% visuel. L’évoquer sans images est donc sans grand sens. Parenthèse fermée.)
Le Web est pour eux un sujet d’actu à la mode, une mode qui, pour certains, est vouée à disparaître et qu’il n’est donc pas nécessaire de chercher à s’adapter aux changements afin, non pas d’exploiter le sujet comme un vecteur d’audience pour plaire aux auditeurs/téléspectateurs qui aiment qu’on leur parle des trucs à la mode, mais bien de les intégrer pour faire évoluer la pratique de l’information et, au-delà, le métier de journaliste.

Le monde des médias est donc pour le moment en pleine traversée d’un terrain mouvant. Pas complètement à l’aise avec ces nouveaux outils, ne voulant pas trop y accorder d’importance mais sans complètement leur tourner le dos non plus, tout le monde dans le milieu cherche à savoir comment démêler la pelote. Alors, au lieu d’une domestication intelligente des nouveaux outils, on assiste à un « hold-up » plus ou moins partiel.

Quand les journalistes se lancent sur Twitter

Certains médias ont leur propre compte Facebook ou Twitter, leur servant à capter de nouveaux publics afin de recueillir des avis et des commentaires, à diffuser leur contenu de base de manière standard sans valeur ajoutée ou, pour d’autre, à surfer sur le Buzz et à faire joli. Certains journalistes ont leurs comptes, pour relayer leur travail – ce qui est normal – mais aussi pour une minorité, à le mettre en perspective et donc en valeur et, surtout, à sortir du vase clos de l’information pour partager plus que de l’information, mais du contenu (petite pensée pour Marjorie Paillon, Amaury Guibert et David Abiker). En dehors de ces quelques personnes (et d’autres qui ne sont pas citées) la venue de journalistes et de médias sur les réseaux sociaux n’est destinée qu’à renforcer leur statut d’experts de l’information et de se positionner en tant que référents absolu du domaine sur ce nouveau segment.

En découlent des opérations ponctuelles, menées par des journalistes, sur Twitter, sorte de défi lancé au monde du web sur un air de « Ah ! Vous voyez, nous aussi on est In et on est Hype. On exerce aussi notre métier sur le Net et sur Twitter ». On pensera notamment au live Tweet de l’interview de François Fillon mercredi 3 février, qui, certes, a fait un flop, mais qui surtout n’a pas trouvé son utilité : ni vrai débat ni vrai compte rendu; un exercice périlleux pas très concluant.

Le premier constat est donc celui-là : les médias ne savent pas quoi faire avec les réseaux sociaux. Et face à l’inconnu, la première des choses à faire est de bien connaître et de bien cerner l’ennemi. Cela est bien connu, pour détourner un avion il faut d’abord monter dedans. Voilà en partie pourquoi l’opération « Un gîte dans le Périgord pour 5 journalistes » euh… pardon… « Huis-Clos sur le Net » a vu le jour. Il s’agit, à gros traits, de comprendre comment cela fonctionne et de prendre la température d’un microcosme nouveau afin d’en dresser le portrait et de mesurer l’importance du phénomène.

  • Qu’est ce qu’une « Information » ?

Mais, et c’est une autre question de fond sur laquelle repose l’expérience du Huis-Clos du Net, il convient également de définir et de s’entendre sur ce qu’est une « information ». La définition de la notion ne sera pas la même pour un homme politique, un community manager, un Geek, un ado ou un chef d’entreprise. Si, pour certains la décision de renvoyer Dominique de Villepin en appel est une information importante, pour d’autre il va s’agir d’un rencard avec la plus belle fille de la classe. Ces deux informations vont toutes les deux se retrouver sur Twitter ou Facebook. Toutes deux ont le statut « d’information ». Seule différence l’une peut potentiellement intéresser plus de monde que l’autre. Cela signifie-t-il que cette information est plus importante que l’autre ? A stricto sensu, non, car les producteurs de ces informations estiment chacun de leur côté qu’elle est importante et qu’elle justifie qu’on la partage.
Ce n’est que l’interprétation et le commentaire de ces informations qui va leur donner une « valeur » et un écho. On imagine aisément que pour le renvoi en appel de Dominique de Villepin on dira qu’il s’agit d’un évènement important dans l’Histoire de la Vème république et que cela aura des répercussions sur l’avenir politique d’un certain nombre de personnes en plus que de pimenter l’élection présidentielle de 2012, alors que le rencard d’un ado n’a d’autre conséquence qu’un éventuel roulage de galoche sous un abris bus à Tourcoing.
Seulement, imaginons un instant que le rencard de cet ado n’ait pas lieu et que la demoiselle lui pose un lapin. Imaginons que le garçon, fou de rage et blessé dans son orgueil, revienne le lendemain armé du fusil chargé de son grand père pour expliquer la vie à la jeune fille et qu’au passage il dégomme une demi-douzaine de collégiens. On voit d’ici les gros titres du lendemain : « Nouveau drame à l’école : 7 morts », « Violence à l’école : l’échec du Gouvernement », « Face à une nouvelle montée de la violence en milieu scolaire les ministres de l’intérieur et de l’éducation démissionne », etc… Une information sans importance aura donc eu des conséquences retentissantes. Les voir et les détecter est donc également un enjeu.
L’information ne doit donc pas sa pertinence et son importance à ceux qui la commente mais aux publics qui en sont la cible. Dans la hiérarchie de l’information, l’augmentation du prix de l’essence est potentiellement plus importante que le nombre d’albums vendus par Carla Bruni, et pourtant, au regard des commentaires et de la reprise d’information on pourrait être amenés à penser qu’elles sont sur le même plan.
Si les faits sont neutres, l’information, et plus encore son traitement, sont subjectifs.

  • L’épineuse problématique de la fiabilité

Dès lors, après que l’on ait défini ce qu’est une information et quelle importante leur accorder selon la cible et la source, se pose la question de la fiabilité des informations diffusées sur le net et sur les réseaux sociaux. Le journalisme conventionnel accorde essentiellement du crédit aux sources officielles, à leurs informateurs (anonymes ou non) ou aux informations diffusées par leurs confrères. Par nature, le journaliste est méfiant vis à vis de ce qui circule sur le net. Les comptes sur les réseaux sociaux peuvent être des faux, servant à répandre des rumeurs, les infos erronées ou la source non certifiée. Pourtant, par exemple toujours, quelqu’un qui croise Jean-Claude Marin dans les rues de Paris en train de téléphoner et qui l’entend dire « Oui, bien entendu, je vais faire appel Madame le Ministre » et qui, dans la foulée le tweet, ne sera pas considéré comme étant une source fiable, vérifiée et crédible alors qu’il retransmet des propos.
Ce qui angoisse les journalistes, qui ont une éthique et une méthode à défendre, c’est que le lâché d’information non « démontrable » est passible de poursuites pour diffamation. L’information se transforme donc en un vaste procès dont les journalistes sont les accusateurs et devant disposer de preuves étayant leur thèse et leurs propos. Il faut donc une preuve par le son, par l’image ou par écrit. Un garde-fou nécessaire pour limiter les dérives et la désinformation. Mais la preuve ne fait pas la véracité de l’information. Les vidéos peuvent être truquées, les sons arrangés, les textes détournés. La preuve permet aux journalistes de se garantir contre les critiques, même s’ils se font abuser, au détriment de la véritable information.
Dans l’absolu, tout commentaire sur Facebook ou Twitter devrait donc être, dans cette logique, assorti d’un lien ou d’une illustration du propos afin de garantir sa véracité. Une contrainte qui ne rime pas vraiment avec le caractère spontané et immédiat des réseaux sociaux.
Dès lors, ces mêmes réseaux ne servent qu’à contextualiser une information vérifiable par ailleurs. Ceci nous renvoi donc au caractère souverain des sources « traditionnelles » du journalisme. Comme on l’a vu dans l’affaire du Buzz de l’explosion de Lille, le salut n’est venu que d’un article de la voix du nord alors même que l’information en elle-même, à savoir le probable passage du mur du son par un avion avait été évoquée dès les premières minutes, le reste des commentaires n’étant que du bruit négatif et un sac de rumeurs.

  • Le Net :  un éternel nid à rumeurs ?

Et c’est là finalement le principal reproche des journalistes à l’égard d’Internet en général et de Twitter en particulier : celui de ne relayer que des rumeurs et de les amplifier, niant ainsi tout potentiel caractère de fiabilité aux informations diffusées par ces canaux.
Et en matière de rumeur, on peut en distinguer trois types. Il y a tout d’abord la rumeur délirante du style « L’explosion à Lille est due à l’invasion du Nord de la France par les hordes Belges assoiffées de sang ». Ce n’est pas une information, juste une blague ou un délire, en rapport avec une information connue ou attendue et qui, si elle n’est pas interprétée comme telle vient brouiller les pistes.
Il y a ensuite la pure conjecture, dont les fans d’Apple sont adeptes, du genre : « La tablette d’Apple s’appellera iSlate et permettra d’envoyer des mails par la pensée ». Souvent entretenues par le fantasme et l’imagination, ces rumeurs deviennent information quand aucune autre source n’est disponible et que la demande en information et en exclusivité se fait de plus en plus forte.
Il y a enfin le premier jet d’une information qui n’a pas encore pu être corroborée par une tierce partie, un élément tangible ou d’autres sources. La plupart des informations naissent ainsi. A la différence qu’auparavant, l’information venait de sources réputées fiables et que désormais, le commun des mortels peut en être le producteur. Ainsi, avant, lorsque se produisait un accident de la route, les médias en étaient avertis par des canaux officiels (autorités). Désormais, si un twittonaute passe à côté d’un accident et le signale sur le réseau on aurait un message du genre « Énorme accident sur l’A6 entre Lyon et Paris. Plusieurs voitures impliquées et un autocar. Please RT ». Si le délai entre le signalement de l’accident et la confirmation technique de l’envoi de secours sur place est très important, alors il y a de fortes chances pour que les soupçons de fake et de rumeur aillent en grandissant.

Car intrinsèquement, le journaliste se méfie du citoyen lambda comme producteur d’information. Le commun des mortels n’est pas en mesure de retranscrire convenablement les faits et sa subjectivité va nécessairement nuire à la bonne transmission de l’information. Le journaliste est cultivé, a reçu une formation et sais être parfaitement neutre avec les faits qu’il rapporte. Ce qui n’est pas le cas des « autres gens ». Ce qui explique pourquoi, de leur point de vue, une information sortie des limbes de la plèbe ne saurait être fiable, honnête et certifiée.
Comment donc accorder un crédit aux réseaux sociaux si on élimine d’entrée ce qui constitue pour 90% sa population, les 10% restants étant (sauf dans le cas français ou la proportion est pratiquement inverse) des politiques, des célébrités, des médias et des journalistes et quelques chefs d’entreprises.
Ce qui rend incompatible journalisme et réseaux sociaux, c’est la conception même que se font de leur métier les premiers. Le journaliste est là pour traiter l’information, la digérer et l’expliquer aux « non journalistes ». Dès lors, les réseaux sociaux ne peuvent être vus que comme une source d’information supplémentaire et les contributeurs des informateurs gratuits pour les journalistes qui, ensuite, vendent l’information.

Les réseaux sociaux sont bien plus que cela. Il s’agit de lieu de circulation de l’information certes, mais également et surtout, des lieux d’échanges et un lieu où vit l’information. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas que les infos brutes qui circulent mais bel et bien des commentaires sur celles-ci qui sont autant d’analyses et d’explications de ces dernières. La vision de ces outils par les protagonistes du Huis-Clos du Net, et au-delà, par toute la profession, est donc biaisée d’entrée. Cela nécessiterait  bien plus de cinq jours pour parvenir à exploiter tout le potentiel informatif des réseaux.

  • Quel bilan pour le « Huis-Clos sur le Net » ?

L’expérience du Huis-Clos du Net cherchait donc à montrer :

– si on pouvait rester informé uniquement à travers les réseaux sociaux. Cela semble être oui.
– si les informations disponibles à travers ces réseaux sont fiables et pertinentes. Mis à part les Buzz et les rumeurs, cela semble être oui aussi.
– si les formes de journalismes traditionnelles sont obsolètes. Cela semble être non, tant la culture de la source officielle reste présente.
– s’il n’y a que des rumeurs qui circulent sur la toile. Cela semble être non, puisqu’ils ont réussi à obtenir la substantifique moelle de l’information durant ces cinq jours.

Le bilan ne semble donc pas être complètement négatif, ni même complètement à la charge contre les réseaux sociaux. Néanmoins, il convient d’attendre le bilan qu’eux même vont tirer de cette expérience.

Toutefois, comme cela a déjà été écrit çà et là, et malgré toute la bonne foi affichée des participants et des organisateurs, cette expérience n’est pas exempte de reproches, tant sur le fond, que sur la forme.

Sur la forme :

Une telle expérience annoncée à l’avance et dont les détails ont été exposés dans les grandes largeurs ne pouvait qu’entrainer des risques de dérive. Connaissant à l’avance les modalités de son déroulement ainsi que les protagonistes, il devenait un jeu d’enfant de perturber le déroulement de l’évènement en polluant les publications avec des fausses informations et des rumeurs. Par ailleurs, l’utilisation d’un Hashtag spécifique à l’expérience donnait donc naissance à une timeline dédiée qui biaisait encore plus l’expérience. Il était aisé de transmettre des infos aux enfermés via ce Hashtag afin de les tenir informés.
De plus, le folklore consistant à réaliser l’expérience dans un gîte en pleine campagne n’apporte aucune valeur ajoutée au projet car, s’il ne s’agissait que d’être dans un local uniquement raccordé à Internet, il était parfaitement possible de le faire en plein Paris.
Autre problème, celui de la demande d’information et de confirmation concernant des évènements ou des infos par les cinq journalistes quand ces derniers ne parvenaient pas à trouver ce qu’ils cherchaient sur les réseaux. Quand on affirme vouloir ne se tenir informé que par ce qui ressort de ces réseaux, on ne provoque pas la remonté d’infos pour parvenir à ses fins. C’est comme si quelqu’un entamant une grève de la faim disait « je ne me nourrirais plus – mais si on me met la cuillère dans la bouche ça ne compte pas ». Vouloir expérimenter la pertinence d’un réseau en observant ce qui en ressort n’est pas compatible avec des demandes expresses d’informations au risque de rompre la logique du projet initial.

Sur le fond :

Le fait que le Huis-Clos du Net ait été réalisé uniquement par des journalistes pose un problème de crédibilité. On n’assiste pas à un véritable test de l’acuité d’internautes vis à vis d’un nouveau média, mais bien plutôt à une opération marketing visant à redonner un peu de crédit à une profession qui peine ces derniers temps à trouver grâce aux yeux des français.
Par ailleurs, bien que ces journalistes ne soient pas forcément très connus, le fait que tout le monde ait su leurs noms avant le lancement du projet repose le problème cité plus haut d’interférences avec leur tentative d’information neutre à travers les réseaux sociaux.
Il y a un autre souci dans le fait que les cinq journalistes soient tous francophones, bien que pas tous français. Quand on sait qu’une infime proportion des internautes français se trouvent sur ces réseaux (quoique plus présents sur Facebook, mais qui n’est pas connu pour être un espace d’échange d’informations journalistiques mais bien plus personnelles), ce qui, ramené à la population totale du pays (ou même de l’ensemble des pays francophones) est ridiculement faible, on est en droit de douter de la pertinence des résultats de l’expérience tant il est clair qu’une écrasante majorité des tweets s’échangent en anglais. Le fait qu’ils soient francophones n’apporte donc encore une fois aucune valeur ajoutée et vient tronquer le résultat escompté.
Enfin, dernier problème, celui du média d’origine : la radio. Il y a des journalistes télé, des journalistes radio, des journalistes papier et désormais des journalistes internet (dont certains bloggeurs « professionnels »). Ce sont des mondes bien distincts, quoique, de plus en plus, les uns et les autres se trouvent sur deux types de médias à la fois. Néanmoins, ce à quoi nous avons assisté, c’est un peu le passage du Rubicon par une profession qui s’essaye à un nouveau monde. Mais il s’agit bien plus d’un coup de com’ pour un média assez confidentiel qui joue la carte de la nouveauté et de la soit disant « branchitude » pour sortir du bois et reconquérir un public volatile.

Alors au final, que retenir de ce Huis-Clos qui aura déchaîné les passions (presque autant que l’iPad).
Si on note la bonne volonté affichée d’une profession (mais réduite à cinq individus, est-ce représentatif ?) pour comprendre et saisir les enjeux des réseaux sociaux à travers le prisme de l’information qui s’y diffuse on remarque surtout un certain nombre de ratés.
La publicité faite autour du projet a joué contre lui. Si le projet devait être relancé, il faudrait que cela soit par des anonymes, plus nombreux, avec des journalistes et des non journalistes, dont certains anglophones et sans le décorum du Périgord.

  • En conclusion

Il est possible de se tenir informé via Twitter et, dans une moindre mesure, Facebook. Pour cela, il suffit par exemple, lors de déplacement en ville, d’avoir son téléphone avec soi et de suivre sa timeline Twitter et d’observer les sujets qui ont du succès pour avoir une bonne vision de l’actu. De là à ne vouloir être informé que par ce biais, ce serait comme vouloir marcher sur une seule jambe alors qu’on a les deux valides.
Internet ne se résume pas aux seuls réseaux sociaux même si ces derniers ont pris une ampleur considérable depuis l’an dernier. De même que l’information ne se résume pas au 13h de TF1, l’information sur le net est riche de milliers de sites dont Twitter et Facebook se font l’écho et les relais. Se priver de ces sources d’information n’est révélateur de pas grand-chose car personne sur la toile ne se limite à une seule source (la journée sans cliquer sur les liens des tweets était donc un bon coup de pub mais dont la pertinence n’est vraiment pas démontrée).
Plus encore, si on assiste à un flux d’information allant des sites vers les réseaux sociaux, un flux inverse allant des réseaux sociaux vers les sites va prendre de l’ampleur, même si ce phénomène est pour le moment minoritaire et, dans tous les cas, difficilement mesurable lors de cinq jours dans le Périgord.

Maître de ces lieux

2 commentaires

  • JV

    Je cite : « Bien entendu, tout a été plus ou moins dit sur le sujet, par des internautes, des sociologues, des journalistes… »

    Alors pourquoi en écrire autant sur le sujet? Désolée mais à 00h48, c’est peut-être très intéressant, mais trop long ! Je ne peux que vous encourager à diviser vos idées en différents articles, ne serait-ce que pour le confort de vos lecteurs.
    Si vous aviez écrit un tel article pour mon journal, je vous aurez obligé à couper !
    Bonne continuation !

  • ldupin

    J’allais dire la même chose 😉 Très bon départ, très analytique, qui m’a donné envie… Mais honnêtement, près de 25.000 caractères pour une note de blog! Et sans lien ni visuel… J’ai décroché.

    Ca me confirme en tout cas ce que je me disais en lisant justement le blog de l’opération « Huis Clos ». Avant de cogiter sur les réseaux sociaux, les sources… il faudrait d’abord recauser confraternellement, en équipe, dans les formations… des standards de production de contenus web! Et des bonnes manières de ne pas les faire fuir, ce lecteur et cette lectrice, qu’on voudrait tant garder voire faire sortir leur porte monnaie.

    Sinon, sur le fond, je suis assez d’accord avec votre analyse pointant « une opération marketing visant à redonner un peu de crédit à une profession qui peine ces derniers temps à trouver grâce aux yeux des français ». Mais alors, quelle lourdeur l’opé’!

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