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Belle-Amie de Harold Cobert : Chef-d’œuvre en vue !

Une suite à « Bel-Ami » ! Sérieux ?

Le pitch de « Belle-amie » sonne comme une blague. Le genre de sujet de rédaction de collège, version Nième réforme, en mode « Dans le style de Guy de Maupassant, écrivez la suite de « Bel-Ami » dans le style de l’auteur ». Comme si le simple fait d’écrire « comme » un auteur renommé suffisait à appréhender convenablement le style en question ou à produire un chef d’œuvre. Imiter n’est pas un passeport pour le talent.

Et c’est là toute la force de ce livre qui ne tombe pas dans ce piège.

Avec « Belle-Amie », Harold Cobert signe donc un roman prenant la suite directe du « Bel-Ami » de Guy de Maupassant. On retrouve ainsi George Duroy, laissé sur les marches de la Madeleine à la fin du premier opus, en pleine campagne électorale pour se faire élire à la chambre des députés, comme il se l’était promis.

Il va de soi que si l’œuvre originale vous est étrangère, inutile de vous ruer sur ce « Belle-Amie ». Et ne pensez pas vous rattraper en visionnant l’une de ses adaptations filmiques. D’une part parce qu’en de très rare exception, une adaptation, même si elle peut donner un objet cinématographique ou télévisuel visuellement somptueux, trahit toujours l’œuvre originelle et prend obligatoirement des libertés plus ou moins dérangeantes. D’autre part, si l’esprit de l’œuvre et une partie de son texte peut se retrouver principalement à travers les dialogues, la mélodie du texte et la beauté de la langue utilisée vous échappera.

Tout ça pour dire qu’il faut lire, ou relire, « Bel-Ami » avant de s’engouffrer dans la lecture de « Belle-Amie » avec avidité pour en savourer tout le suc. D’abord parce que si vous n’avez jamais lu « Bel-Ami », qui reste un classique, ça manque à votre culture et puis ensuite parce que cela vous glissera dans de véritables pantoufles pour apprécier tout le brio avec lequel l’auteur de « Belle-Amie » a su saisir la plume de Maupassant pour se l’approprier pour nous livrer une suite talentueuse, empreinte de respect pour le récit initial sans tomber dans une caricature qui aurait pu virer au grotesque.

Quel talent !

Si Harold Cobert emprunte l’esprit et la lettre de Maupassant, ce n’est pas pour violer son cadavre, comme peuvent le faire hélas de nombreux chanteurs français qui, à défaut de talent squatte celui des autres, mais bien pour proposer un propos construit servant une intrigue profonde et solide.

Le tout est narré dans une langue soignée, dans la veine du niveau de langue en cours à l’époque de l’écriture de « Bel-Ami », c’est-à-dire soutenu et élégant sans être alambiqué. Tout juste l’auteur se permet-il quelques coquetteries pour donner un tour légèrement plus moderne à certaines formulations, mais tout cela est d’une subtilité telle que cela passe avec finesse.

Sauf à redécouvrir un testament littéraire perdu de Maupassant, nous ne saurons jamais s’il avait l’intention d’écrire une suite et, le cas échéant, ce qu’elle nous aurait raconté. Sur le plan de la forme en revanche, si l’on ignore l’identité véritable de « Belle-Amie », c’est à s’y méprendre et il est parfaitement possible de s’imaginer être en présence d’une véritable œuvre de Maupassant.

Mais au-delà de la forme, dont j’estime comme je viens de l’écrire que l’exercice est (très) réussi, l’ouvrage s’apprécie également sur le fond et sur l’intrigue qu’il nous propose.

Et là encore, il vise juste !

La boucle est bouclée

« Belle-Amie » est un récit qui permet de boucler l’histoire du héros de Maupassant, mais c’est surtout l’illustration parfaite et machiavélique de vieux adages tels que « on récolte ce que l’on sème » ou « l’arroseur arrosé ».

En effet, tous les travers et toutes les « perfidies » auxquelles s’est livré George Duroy dans le premier opus se retournent invariablement contre lui dans une implacable ironie du sort. Un sort bien mérité pour certains lecteurs, ulcérés par l’attitude délétère de cet arriviste éhonté.

Et pourtant, quoique détestable, on finit par s’attacher au bonhomme et la fin de « Bel-Ami » nous laisse sur notre faim et l’on se demande : « jusqu’où ira-t-il ? ». A cela, Harold Cobert apporte une réponse à travers une variation ciselée qui exploite intelligemment tous les ressorts narratifs du premier opus, en bouclant au passage les arcs narratifs de beaucoup de personnages rencontrés lors de la lecture, mais qui les complètes à travers un contexte historique documenté qui fait pleinement part de l’intrigue et pas seulement de décorum.

« Belle-Amie » est donc une excellente opportunité de s’intéresser à cette fameuse affaire du canal de Panama qui sert de toile de fond et retranscrit fidèlement, mais tout en finesse, le contexte politique de l’époque. Bref, on s’y croirait.

Une suite dans l’air du temps

Mais « Belle-Amie » est finalement et avant tout une histoire de femmes. Toutes ces femmes rencontrées par Duroy et qui ont jalonné – et permis – son ascension sociale vont sceller sa chute inéluctable. Tirant parti des faiblesses et travers de George Duroy, l’une d’entre elle, dont l’identité ne nous est révélée qu’à l’approche de la fin de l’ouvrage, parviens à le compromettre. Pour ajouter à l’indignité de sa disgrâce, elle associe à sa manipulation son épouse et l’une de ses anciennes maîtresses dans un climax jouissif qui laisse notre héros nu (au sens propre) et à la merci d’une vengeance planifiée de longue date que ces dames savourent froide et à pleines dents.

Notre bon George Duroy termine le roman comme il avait commencé le premier : seul et sans le sou. Mais là où il avait au moins le bénéfice de la liberté et de l’anonymat, le voici désormais puni par le sort, frappé d’indignité aux yeux de tous (et de tout le pays) et surtout… en détention !

Emporté par son ambition insatiable et ses vices, la plupart des lecteurs trouvera que le retour de bâton est mérité et à la hauteur de l’antipathie que peut provoquer cet anti-héros rattrapé par ses propres pêchés.

« Belle-Amie » est au final un titre à lire absolument qui fera date dans la production littéraire française. Le style et l’intrigue sont maîtrisées et il est bien difficile de reposer l’ouvrage tant on attend avec impatience de voir comment les choses vont se solder.

A lire sans modération !

Maître de ces lieux

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