Becoming Steve Jobs
Après avoir désespéré de ne le voir jamais traduit un jour, je suis tombé par hasard sur la version française du dernier ouvrage sur Steve Jobs, encensé par la critique outre-atlantique : « Becoming Steve Jobs » de Brent Schlender et Rick Tetzeli.
Sur le papier, ce n’est pas une biographie. C’est même l’anti-biographie officielle, en réaction au récit « approuvé » de Walter Isaacson qui rempli ce rôle. De nombreuses personnes avaient reproché à l’ouvrage, par ailleurs très factuel, de dresser une image déformée du fondateur d’Apple en insistant beaucoup sur son caractère rude et colérique.
Ce n’est donc pas une biographie, mais plutôt un témoignage de Brent Schlender, journaliste américain, qui a côtoyé Steve Jobs en de très nombreuses occasions dans le cadre de son travail. Appuyé sur ses souvenirs, ses notes, ses interview, et sur une documentation conséquente, « Becoming Steve Jobs » est à la frontière entre le récit intime et le documentaire.
Du coup, il n’excelle ni dans un registre ni dans l’autre…
En fait, on pourrait résumer le livre en une formule :
« Oh ben non, moi le Steve Jobs que j’ai connu dans le cadre de mon travail ne correspond pas du tout au portrait qui en est fait dans le bouquin d’Isaacson »
Etait-ce suffisant pour en faire un livre ? Oui, certainement. Mais ce qui a pêché, c’est la façon de le présenter…
Premier écueil et non des moindres, si l’ouvrage se veut une critique à peine voilée de la biographie officielle, il est pourtant assez compliqué d’en apprécier le contenu, le ton et le propos si l’on a pas justement lu cette fameuse biographie officielle.
Un peu ennuyeux, non ?
L’auteur ne raconte pas la vie de Steve Jobs. Il prend appui sur ses rencontres professionnelle avec ce dernier, rencontres qu’il faut donc replacer dans la chronologie de la vie du fondateur de la firme à la pomme.
Du coup, c’est cette chronologie qu’il faut avoir sans cesse à l’esprit si l’on ne veut pas être perdu dans les anecdotes qui s’enchainent de manière à peu près cohérente dans le récit tel qu’il a été pensé par l’auteur, mais au prix d’incessant va et vient dans le temps qui peuvent vite devenir perturbant si l’on n’a pas un certaine maitrise préalable des grandes lignes de la vie de Jobs.
Sur ce point, on peut au moins reconnaître à la biographie initiale, même pour ceux qui lui font tant de reproches, qu’elle a adopté un structure simple et classique, en balayant l’ensemble de la vie de Steve Jobs, depuis sa naissance jusqu’à son décès en passant par toutes les étapes connues ou non de ses parcours personnels et professionnels.
D’aucun trouveront cette approche d’une banalité déconcertante, avec ce sentiment de structure de récit vu et revu, mais au moins, le lecteur n’est pas perdu et avance dans le temps autant que dans le récit.
Ici, le récit démarre par la première entrevue de l’auteur avec Jobs chez NeXT, à un stade donc déjà avancé de sa carrière, et s’achève après les obsèques en 2011. On est contraint d’entrée de jeu à un retour en arrière.
Introduire le livre par leur première rencontre trouve une certaine logique (quand on se met à la place de l’auteur), mais quiconque ne sait pas d’entrée ce que c’est que NeXT et à quelle période cela se situe est condamné à subir un récit à la première personne déroutant et fatiguant.
Deuxième écueil, le l’ouvrage donne le sentiment d’être d’avantage les mémoires de son auteur qu’un véritable récit à propos de Steve Jobs.
On se rend compte en effet à la lecture, que le livre est l’occasion pour l’auteur de revenir sur sa propre vie, sa propre carrière, comme un grand coup dans le rétro. C’est comme un catalogue de souvenirs, focalisé sur Steve Jobs.
Cela donne nécessairement un récit partiel et partial.
Partiel d’abord parce que même avec le travail de recherche complémentaire mené par les auteurs pour contextualiser les rencontres évoquées et combler les blancs de l’histoire en marche se déroulant entre deux rencontres, certains épisodes sont omis, vite évacués ou passés sous silence. Nous sommes loin d’une approche exhaustive que cherchait à atteindre le premier opus.
Partial ensuite parce que, comme dit en introduction, ce n’est pas tant un récit de la vie de Steve Jobs qu’un recueil des mémoires de l’auteur narrant ses différentes entrevues ou rencontres avec Jobs. Les rapports humains sont forcément subjectifs, même lorsqu’on est journaliste et qu’on s’efforce tout de même de confronter ses sources et d’apporter la vision la plus neutre possible.
Partial encore par le fait que certains événements mis en exergue par un effet de dramatisation et de mise en scène extrême (la scène de l’interview conjointe de Jobs et Gates réalisée à l’époque par l’auteur) sont principalement importants du point de vue de l’auteur mais dont ce dernier fait le momentum du livre.
La plupart du temps, nous sommes en face de petites histoires, qui ont certes fait la grande, mais qui ne se placent toutefois pas au niveau de certains autres événements majeurs, dont l’auteur n’était sans doute pas le témoin mais qui constituent des marqueurs bien plus puissants de la vie de Jobs.
Ce qui fini de donner un sentiment étrange à la lecture de cet ouvrage, c’est le caractère quasi biblique donné à la parole de Tim Cook, actuel CEO d’Apple.
Absent du premier volume (sans doute parce que son témoignage au moment où était rédigé le livre ne semblait pas indispensable) les quelques phrases dont il gratifia l’auteur ont été abondamment récitées, commentées pendant la phase de promotion du livre. A tel point que c’est ce qui a fait dire que cette deuxième « biographie » de Steve Jobs était une version « approuvée » par Apple, là où la première était seulement « approuvée » (et de loin) par le défunt cofondateur de la firme pommée.
A tel point que l’ouvrage aurait pu s’intituler :
« Non sérieusement, ne lisez pas le bouquin d’Isaacson, il est mauvais et il raconte que des trucs pas cool sur Steve Jobs. Lisez plutôt ce tout nouveau livre qui a aussi une couverture en noir et blanc et avec des vrais morceaux de Tim Cook validés dedans. Apple c’est cool et on est tous des types super sympas ! »
Au final, on se dit qu’on aura droit d’un côté au récit terriblement froid mais neutre d’Isaacson (la version littéraire de l’article Wikipedia en somme) qui répond à la question « Quelle a été la vie de l’un des plus grand entrepreneurs de la Silicon Valley ? », et de l’autre, une probable myriade de témoignages tous présentés comme authentiquement sincères et documentés, présentant forcément à chaque fois le vrai visage de Steve Jobs, vrai visage auquel l’ouvrage d’Isaacson ne serait selon eux pas à même de rendre hommage.
Lien vers l’image à la une sur Flickr
Un commentaire
Ping :