Livres

Diabolic : le Game of Thrones du pauvre

Le site Lecthtot m’a envoyé vendredi dernier « Diabolic », le dernier ouvrage de l’auteur S.J. Kincaid qui est le premier a être traduit en français. Elle est l’auteur d’une trilogie « Insigna » qui a connu un certain succès aux Etats-Unis mais qui n’a pas (encore) traversé l’atlantique.

Le deal ? Une chronique en échange d’un exemplaire papier du livre en avant-première. Le livre ne sort en effet qu’après demain, et c’est la première fois que j’ai l’occasion de découvrir un livre et d’en faire la critique avant sa sortie !

Challenge accepted !

A propos de l’auteur

Tout d’abord, qui est S.J.Kincaid ?

S.J. Kincaid est une auteure américaine, inconnue (pour le moment) en France et (presque) de Wikipédia, spécialisée dans la « littérature » pour jeunes adultes, vocable un peu pompeux pour parler de livres pour ado.

Je dois avouer que je suis assez partagé sur le principe d’une littérature spécialisée, pas en général, mais pour cette tranche d’âge en particulier.
Il me semble nécessaire qu’il existe des livres pour enfants, jusqu’à 10 ans, avec un vocabulaire et des tournures de phrases simples (mais pas simpliste) destinés à l’apprentissage de la lecture et de la grammaire.
Passé ce stade d’apprentissage, il existe quantité de styles et de genres dans lesquels les pré-ado et ado puissent trouver matière à enrichir leur vocabulaire, s’échapper et développer l’imaginaire.

Je suis partagé parce qu’il n’y a aucun mal à proposer un type de contenu pour une classe d’âge, et plus encore pour une étape de la vie que l’on sait particulière, voire compliquée. L’individu se cherche, et tout doit faire sens, y compris ses lectures.
Qu’on propose aux ados une littérature portant sur les sujets qui les préoccupent – l’amour, la mort, le sexe, le rapport à l’autorité, l’indépendance, la drogue (non, malgré mon côté vieux con je ne suis pas en train de dire que tous les ados sont des rebelles attardés complètement camés !), etc… – c’est somme toute une manière élégante de conduire à la lecture ou de servir de relais vers des lectures plus denses et plus complexes.
Malgré tout, au-delà des histoires, des sujets abordés et des angles d’attaque, il y a le style. Et ce n’est à mon sens pas rendre service aux ados que de leur servir des histoires enrobés dans un style pauvre, un vocabulaire simpliste et une structure quelconque.

L’adolescence est une période de la vie où l’on se forge son imaginaire, sa personnalité, une partie de ses opinions. Bref, sa personnalité.
Exposez un enfant à la médiocrité et à la facilité, et n’ayant que cela pour référence, il ne cherchera pas spécialement à aller vers autre chose.
A l’inverse, exposer un enfant à ce qui est exigent et de qualité (la beauté étant suggestive, il est difficile d’évoquer ce sujet) lui offrira un référentiel de valeur tout autre.

La simplicité du style et des intrigues ne doivent pas être excusés par un « c’est pour des enfants » ou « c’est pour des ados ».
Justement ! C’est tout l’inverse…
Puisque qu’on s’adresse à des enfants ou à des ados, il faut y apporter encore plus de soins que lorsqu’on écrit pour des adultes.

Mais je m’égare. Revenons au livre.

Le pitch diabolic

Bien que la couverture nous présente un papillon moitié naturel, moitié armes blanches, et que le quatrième de couverture évoque un tigre, il n’est question ici ni de l’un, ni de l’autre.

A une époque indéterminée, l’humanité vit dans des vaisseaux spatiaux, et, pour les moins chanceux, sur des planètes, sur lesquelles il semble dangereux de vivre en raison des conditions météo, de la gravité et des « virus » qui y traînent.

Dans cet univers, on a créé différents humanoïdes artificiels dont certains sont faits pour protéger jusqu’au péril de leurs vie un individu en particulier après un conditionnement physique et psychologique.

Ce sont les Diabolics.

Ces créatures à l’apparence humaine sont programmés pour protéger l’humain qui leur est confié, quitte à tuer. Dotés d’une force physique hors du commun, ils subissent un entraînement confinant au conditionnement psychologique digne des tortures les plus inhumaines.

Dans cet univers, les Diabolics, c’est comme les iPhone : c’est hype d’en avoir un. Et comme ça coûte cher, ça permet de montrer au monde votre statut social.
Sauf que, comme c’est quand même dangereux et que certains, par excès de zèle, en arrivent à tuer des gens qui ne présentent pas forcément de menace, le pouvoir central décide que les Diabolics sont désormais interdits.

L’héroïne du livre, Némésis, est une Diabolic attachée à la fille d’une famille aristocratique dont le patriarche est sénateur de l’empire galactique (toute ressemblance avec une autre histoire est purement fortuite). Ce dernier est accessoirement en délicatesse avec le pouvoir en place car il ne cache pas son intérêt pour « les sciences » militant même pour leur réhabilitation quand la caste au pouvoir, les « hélioniques », adorateur du vif-cosmos (ie. du soleil), sont partisans d’un « retour en arrière » et d’un bannissement des sciences et de leur enseignement, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en terme d’entretien des vaisseaux spatiaux et d’avancées technologiques.

Ce monde du futur stagne et s’en remet à des robots réparateurs, eux mêmes réparés par des robots. Et quand tous les robots seront HS, et ben… tout le monde sera bien avancé !

Lorsque les Diabolics sont interdits, le sénateur ne s’exécute pas et dissimule Némésis en faisant passer un autre cadavre pour celui de Némésis (ce qui trompe moyennement l’inspecteur dépêché sur place…).

Forcément, au bout d’un moment, l’attitude du père de famille fini par courroucer l’empereur qui convoque sa fille, entre autres héritiers des autres familles aristocratiques de la galaxie, dans la station spatiale qui représente le coeur de la galaxie et du pouvoir : le « Chrysanthème » (#LOL), qui tient son nom de la forme particulière qu’il a puisqu’il s’agit de l’agrégation de plusieurs vaisseaux spatiaux disposés tels les pétales d’un chrysanthème.

Diabolic
Observez bien : ceci sera un vaisseau spatial dans le futur !

En parents aimants, ils refusent d’envoyer leur fille en tant qu’otage et envoient sa Diabolic à sa place, espérant tromper tout le monde en lui conférant un « entraînement » protocolaire et quelques modifications physiques.

Malgré quelques situations délicates, le subterfuge opère et Némésis se trouve mêlée à l’élite de la galaxie et à ses intrigues jusqu’au moment où elle se trouve embarquée dans le complot ultime visant à tuer l’empereur.

Entre temps, ce dernier a décimé l’ensemble des chefs des familles « dissidentes » dans une attaque coordonnée, qui, là non plus ne rappelle aucun ordre 66 d’un film sorti en 2005.
C’est juste un génocide mais, à priori, sauf pour l’héroïne qui en a gros sur la patate parce que sa maîtresse vient de se faire ventiler dans l’espace, ça passe crème.

A partir de là Némésis passe par tous les états : la colère, la haine, le besoin d’une vengeance sanglante, mais dans le même temps doute au gré de ses amitiés et trouve presque l’amour avec le chef du complot suprême.
Elle se découvre du coup de plus en plus humaine, capable de sentiments, de discernement et libre-arbitre, alors que toutes ces notions lui sont en principe interdite de par sa constitution et sa nature.

Au terme de moult péripéties et rebondissements (meurtres, tentatives d’assassinats, trahisons, « je t’aime, moi non plus », etc…) l’empereur est finalement tué et remplacé par son neveu, fomenteur du complot et devenu fou amoureux de Némésis.

Le roman s’achève par l’accession au trône du neveu, avec Némésis à son bras comme nouvelle impératrice.

Happy end à l’issue de laquelle on nous promet néanmoins une suite par un classique : « To be continued ».

OK.

Et alors, il en pense quoi ?

La première impression qui m’est venue c’est : « On dirait une sorte de Game of Thrones chez Peter F. Hamilton » (si vous ne connaissez pas Peter F. Hamilton je vous encourage vivement à le lire, en commençant peut-être par la saga du Commonwealth. Mais tout le reste est génial aussi !).

Pour développer un peu : il y a tout un tas de codes empruntés au genre de Game of Thrones : luttes familiales, pouvoir central, complots et intrigues, solitude, morts violentes, etc… mais replacés dans un contexte, non pas de Space Opera, parce que le fait d’être dans l’espace ne sert que de prétexte qu’à quelques mises en scènes et situations particulières, mais dans un univers de science-fiction spatial.

Les références à Peter F. Hamilton sont également bien visibles : le rajeunissement illimité, les modifications physiques, les transformations génétiques des animaux ou des humains (merci la trilogie du vide !), etc…
On va dire que c’est un hommage !

En définitive, le sujet principal du roman, c’est n’est pas tant le sort réservé à l’empereur ou qui sortira vainqueur des luttes de pouvoir, ni les grands équilibres de cette galaxie vieillissante et délabrée, mais bien plutôt le parcours intérieur de Némésis et de son éveil à des émotions humaines.

Le propos sert de catharsis aux ados lecteurs qui s’identifierons à ce personnage principal, dont le récit est narré à la première personne (avec des fautes d’accord au passage qui rende le tout bien bordélique), dont le parcours initiatique si singulier, puisqu’il s’agit d’un non-humain qui s’éveille à l’humanité en quelque sorte, fera écho en eux.

Le matériaux de base n’est pas inintéressant, mais il est clairement sous-exploité. Et je doute que la multiplication des opus, qui aboutira sans grande surprise à une trilogie (encore…) soit de nature à corriger ça.

Le récit brasse tout un tas de concepts ou d’objets propres à l’univers mis en place, mais jamais rien n’est vraiment approfondi ou détaillé, pas dans les grandes largeurs, mais jamais suffisamment pour donner la substance ou la consistance nécessaire pour impliquer complètement le lecteur.

Pour prendre un exemple concret : le recours aux « forums virtuels » dont la forme diffère uniquement de ceux que nous pouvons utiliser aujourd’hui par le fait que des avatars virtuels peuvent s’y promener librement, permettent à l’auteure d’expliquer qu’il y a une différence entre le virtuel et la vraie vie et que cette dernière est dangereuse…
Si le sujet est bateau, son exploitation est maladroite et surtout extrêmement sous-exploitée. Le fait que l’apparence physique entre un individu et son avatar puisse être extrêmement différente aurait du être présenté différemment. Sinon ce détail n’a d’autre intérêt que de servir de prétexte au fait que « comme personne ne sait à quoi ressemble la fille du sénateur, personne ne saura que ce n’est pas elle qui a été envoyée au Chrysanthème ». Sachant que les apparences physiques dans le monde réel peuvent être également modifiée, cela n’a aucun intérêt.

Enfin, même si on l’explique qu’il s’agit d’une enfant qui apprend à devenir humaine, les retournements d’attitude de Némésis finissent par donner le tournis.
Que ses « sentiments » ou ses émotions ne soient pas cohérentes d’une page à l’autre peux se comprendre, mais à chaque changement de paradigme, son jugement semble si définitif, si absolu, sans nuance, comme si elle n’avait pas la mémoire des événements précédent que cela nuit à la cohérence même du récit.

Et c’est dommage…

Et donc ? On le lit ou pas ?

Une fois embarqué dans le récit, on a envie de savoir, non pas comment cela va se terminer, mais comment l’auteure amène son happy end.

La fin est prévisible, comme la plupart des péripéties. En dehors d’un cliffhanger de fin de chapitre (celui de l’empoisonnement) particulièrement bien amené, et de la scène du missile (mais qui sort de nulle-part), tout est attendu et entendu.

La scène où Némésis, qui n’a jamais mis les pieds sur une planète, découvre la foudre est confondant de platitude et de paternalisme sur-joué, surtout quand on sait que celui qui lui explique n’a que 19 ans…

En dehors de l’impression générale, on ne retient pas grand chose de ce roman. La plupart des personnage est superficiel, le style est convenu et les figure de style poussives.
Ça ne rend pas le livre mauvais, mais juste quelconque.

Un livre de plage pour ados qui n’aiment pas le beach volley !

Maître de ces lieux

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