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La parabole du semeur : Au diable le marketing

Que se passe t-il quand un livre moyen est sur-packagé par son éditeur ? Probablement une bonne dose de déception, sinon un vaste accident industriel…
La parabole du semeur est un roman d’anticipation d’Olivia E. Butler publié en 1993. Son action se déroule en 2024, soit plus de 30 ans plus tard, ce qui constitue une projection dans le temps qui n’est pas anodine.

En effet, 30 ans, c’est ce qu’on appelle communément une « génération », donc en gros une échelle de temps entraînant en principe des transformations plus ou moins profondes de la société.

Ce qu’imagine l’auteur, décédée en 2006, doit être compris à l’aune de ce qu’étaient le monde et les États-Unis en 1993.

Cette année là (Claude François, sort de ce corps !), Georges Bush père est Président (républicain, important de le noter), la guerre du golfe, quoique terminée du point de vue des opérations militaires stricto sensu, est toujours d’actualité, et les communautés fermées se répandent de plus en plus parmi la classe moyenne.

Le récit que nous livre l’auteur dans la Parabole du Semeur est donc largement imprégné de l’air de l’époque, dont elle amplifie certains traits à l’extrême pour se projeter dans une société presque « post-apocalyptique » dans un exercice d’anticipation élégant mais maladroit.

Il n’est pas question ici de conflit armé, au sens militaire du terme, mais le pays (on parle ici des Etats-Unis) est la proie des pilleurs et autres bandes armées. Il n’est pas non plus véritablement question d’ère « post-apocalyptique » dans le sens où si l’on retrouve bien une partie des codes qui structurent le genre (désorganisation des structures sociales, pénuries de ressources, infrastructures obsolètes, etc…) l’absence de véritable grosse catastrophe naturelle ou industrielle ainsi que la persistance de bon nombre de structures de la société américaine des années 90 indiquent que l’on est sur une pente certes inéluctable vers un déclin certain mais que les choses ne sont pas suffisamment détériorées pour que l’on puisse parler de chaos total (même si c’est franchement le bordel).

Bon, c’est bien gentil toutes ces palabres, mais ça cause de quoi en vrai ?

Le pitch de la parabole du semeur

L’éditeur nous présente la Parabole du semeur ainsi : nous sommes en 2024 (oui, merci, tu l’as déjà dit), et un nouveau Président des Etats-Unis viens d’être élu. Et le nouvel édile dispose d’une conception toute particulière de la législation du travail : suspension des mesures de protection sociale et allègement des charges sur les entreprises qui acceptent d’embaucher les plus démunis en échange du gîte et du couvert. Une légalisation pure et simple de l’esclavage donc.

Dans un pays en panne économiquement, où la pauvreté est rampante, où disposer d’un véhicule est devenu un luxe inimaginable, où l’essence coûte moins cher que l’eau potable, où par peur des violences et des pillages, des quartiers entiers se sont retranchés derrières de hauts murs protecteurs, une jeune fille noire, fille d’un pasteur, cherche d’abord un sens à son existence, puis cherchera à survivre.

Sur le papier, tout va bien : histoire classique et résumé efficace.

Sauf qu’à la lecture, rien ne se passe comme prévu…

Quand l’étiquette ne correspond pas au produit

Dans l’absolu, tous les éléments présentés en quatrième de couverture de la Parabole du semeur sont bel et bien abordés : on a bien l’héroïne fille de pasteur, le quartier encerclé par un mur, les conditions de vie particulières et l’élection du nouveau président.

Mais ce qui est présenté par l’éditeur comme étant le point de départ de l’intrigue, ne constitue qu’un détail du récit, sans grande influence décisive sur l’intrigue en elle-même.

Pourquoi un tel parti pris éditorial au détriment de l’oeuvre censée être mise en valeur ?

L’argent !

Bon, euh… oui, OK. Le job d’un éditeur c’est de gagner sa vie et celles des auteurs dont il gère les droits en vendant les ouvrages de ces derniers.

Mais la nécessité doit-elle forcément l’emporter sur la fatalité qu’impose la course effrénée au buzz pratiqué avec la vulgarité la plus crasse ?
Autrement dit : « T’étais obligé de faire du putaclic sur la couverture de ton bouquin ? »

Il est en effet un peu léger d’avoir tout misé sur le vague rapport entre l’élection du Président du livre et celle de Trump ainsi que sur les effets des modifications climatiques sur le sud-ouest des Etats-Unis et les questions actuellement en débat sur les effets globaux du réchauffement climatique.

Que le comité de lecture ait vu à l’occasion de la réédition des parallèles troublants, quoique lointains, avec ce que nous connaissons aujourd’hui est le signe d’une certaine appréhension de la lecture de l’ouvrage mais ne justifiait pas d’articuler toute la communication réalisée autour de l’ouvrage sur ces seuls éléments.

Ne parlons pas non plus du « Livre des vivants », qui, s’il structure quelque peu le parcours de l’héroïne, ne confère que peu d’épaisseur au récit en dehors de toute prise de consistance éventuelle dans une suite hypothétique.

Bon. On résume ?

La parabole du semeur est un livre avec de bonnes idées mal exploitées et peu approfondies. Un récit sans rebondissement et une progression linéaire sans enjeux qui se solde par une non-fin décevante qui laisserait penser qu’une suite était envisagée.

Un style lourd, malheureusement desservi par une traduction pataude qui cherche trop à rester fidèle littéralement au matériau de départ au détriment parfois de l’élégance et souvent même de la compréhension de lecture.

Et enfin… un « packaging » désastreux et réducteur, biaisant plus que largement l’approche que chacun aura de l’ouvrage.

Mais ceci ne relève que de la forme.

Pour le fond, ce livre ne doit pas être en tête de votre liste de lecture de l’été. Dans le même genre, on lui préférera « Le chemin qui menait vers vous » de William Réjaut et Laurent Latorre, tellement prenant et tellement mieux écrit.

Maître de ces lieux

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