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L’art de la victoire de Phil Knight : quel pied !

L’art de la Victoire est l’autobiographie du fondateur de l’équipementier américain Nike dont il fut le président jusqu’en 2006.

Life is life

Je suis toujours un peu perplexe face aux biographies. Et encore plus face aux autobiographies.

C’est quelque chose que nous expérimentons tous : nos souvenirs ont souvent tendance à être embellis. Nous avons déjà une tendance naturelle à ne retenir que les meilleurs souvenirs. Mais par ailleurs, nous biaisons nos mauvais souvenirs ou mauvaises expériences. Soit qu’elles nous aient appris quelque chose, ce qui en atténue l’aspect négatif, soit que nous relativisions.

La vie de Phil Knight est un roman. Un roman qui démarre véritablement pour lui quand il entreprend son tour du monde à l’issue de ses études. De son enfance, il sera très peu question. Un choix volontaire et délibéré qui en dit long sur ce que le fondateur de Nike estime important. Quelle qu’ait été votre éducation ou vos études, rien ne conditionne votre vie, vos projets ou vos rêves.

A partir de cette épiphanie fondatrice, le récit se déroule chronologiquement dans une succession de chapitres rythmées par les années qui passent. On assiste alors aux prémices du business de chaussures de sports qu’il rêve de créer. D’abord distributeur d’une marque japonaise, qu’il commercialise de manière assez artisanale à l’arrière de sa voiture, il va progressivement s’en émanciper et commencer à faire fabriquer ses propres modèles.

Tributaire de ses fournisseurs, de ses créanciers, la situation financière de la jeune entreprise est régulièrement dans le rouge et flirte souvent avec la banqueroute. Cette situation est d’ailleurs loin d’effrayer Phil Knight même s’il confesse plusieurs nuits blanches. Car plutôt que de suivre les conseils et recommandations de ses banquiers, afin qu’il adopte une gestion saine (selon leurs critères) de son entreprise naissante, Phil Knight appui au contraire sur l’accélérateur.

Aller plus haut

Petit à petit, l’entreprise croit et se développe. Son chiffre d’affaire augmente ainsi que le nombre de ses collaborateurs. Jusque-là, il ne s’agit rien de plus que du parcours classique de la création d’une entreprise, qui trouve ici ses expressions les plus terre à terre de gestion des ressources humaines et financières.

Sauf à ce que vous souhaitiez vous lancer dans un business équivalent (drop shipping) la véritable valeur du livre ne réside pas forcément dans cette partie-là. C’est instructif certes, et cela permet de replacer les choses dans le contexte des années 70 et 80, où les règles n’étaient pas tout à fait les mêmes et que la valeur des choses ne reposait pas sur la même échelle de valeur.

Si le livre n’est pas un modèle pour ce qui concerne la gestion financière, il ne brille pas non plus par les méthodes liées aux ressources humaines. Phil Knight ne semble étrangement pas forcément doué pour les relations humaines, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. Bien entendu, il s’est marié et a eu deux enfants, et voue un amour sans borne à son épouse qui fut plus qu’une aide précieuse dans cette aventure entrepreneuriale. Mais comme il le confesse tout au long du livre, il n’est pas à son aise lors des négociations bancaires ou commerciales, peut se montrer assez dur, cassant voir indifférent à ses propres collaborateurs même et surtout les plus zélés. Et surtout, il n’a pas su trouver les clés pour entretenir de bonnes relations avec ses fils, dont l’aîné trouvera la mort dans un accident de plongée.

Biographie = mode d’emploi ?

Mais une biographie, si elle vaut déjà par ses aspects testamentaires et historiques, vaut surtout par ce que lecteur en retire. Une vie qui mérite d’être racontée en détails (même choisis) apporte son lot d’expériences, de conseils et d’enseignements.

Le piège dans lequel tombe beaucoup d’ouvrages « à propos de » telle ou telle personnalité ayant brillé par son parcours, est de laisser entendre que la vie de la personnalité en question est un modèle et une route à suivre. Comme s’il suffisait de suivre une « recette » pour que le succès soit au rendez-vous.

Ce fut énormément le cas pour ce qui concerne toute la littérature publiée à la suite du décès de Steve Jobs.

Dans le cas de « l’art de la victoire », ce qui a fait justement la force de la vie de Phil Knight explique certainement son manque d’appétit pour la gestion financière et les relations humaines.

Don’t stop believe in

Tout est résumé par l’auteur lui-même : ne jamais s’arrêter. Et force est d’admettre que Phil Knight pense chaussure, respire chaussure et incarne la chaussure à 100%. Ces gens-là ont un nom : Shoe Dog, qui est d’ailleurs le titre original du livre en anglais.

Sa passion immodérée du sport et de la chaussure de sport constitue son moteur. Il faut aller toujours plus loin et toujours plus vite. Cela ne s’est pas fait sans conséquences, mais le fait est qu’à force de pugnacité, d’obstination et de persévérance, Phil Knight est parvenu à bâtir un empire.

Si la chance et l’époque ont une part de responsabilité dans le succès rencontré, qui s’est patiemment bâti année après année, le principal message de cette biographie est que cette conviction de réussir et cette persévérance sont des qualités à cultiver pour accomplir ses projets et s’accomplir en tant qu’homme.

Cela ne fera pas disparaître les obstacles ou les difficultés comme par enchantement, mais une volonté farouche d’aller de l’avant, une certaine dose d’obstination (quand elle n’est pas entêtement aveugle), saupoudrée de confiance en soi constituent le bagage élémentaire pour aller au bout de ses projets.

L’art de la victoire est enfin une plongée dans l’histoire. Histoire du sport, mais pas seulement. Histoire des États-Unis et du monde de ces années 70 et 80. Une plongée dans le Japon d‘après-guerre et de la reconstruction. Histoire de l’émergence du sport business et du rôle que les équipementiers vont alors y jouer, comme cela nous est rappelé dans l’excellente « histoire secrète du sport » de François Thomazeau.

Run, run, run

On achève cette lecture sur un sentiment partagé. D’un côté c’est extrêmement fascinant. Parti de rien (ou presque), Phil Knight, faisant fit des difficultés ou complications, est parvenu à bâtir une multinationale tentaculaire dont la visibilité mondiale est hors norme.

Mais d’un autre côté le récit nous donner à voir quelqu’un, certes de pugnace et déterminé, mais qui dans le même temps peut se montrer sec, obtus, passablement désagréable et presque sans scrupule. En témoigne l’absence de détails sur les conditions de fabrication de ses chaussures en Asie, sur lesquelles il fini tout de même par écrire quelques mots à la toute fin, presque sous la forme d’un mea culpa contraint.

Je n’irais pas jusqu’à dire que Phil Knight est un exemple ou un modèle. Certains aspects sont sans aucun doute à méditer. Mais il ne faudrait pas y voir un modèle absolu de la réussite ou du succès.

Il n’en demeure pas moins que ce livre éclaire cette période de l’histoire et la création de Nike sous un jour nouveau et que rien que pour ça, ça en vaut la lecture !

Maître de ces lieux

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