Humeur

Humanitaire : fallait-il renvoyer ces trois afghans chez eux ?

Après Jean Sarkozy et la réforme des collectivités locales, c’est le nouveau sujet qui passionne une partie de l’opinion. Entre partisans et opposants à cette pratique de reconduite forcée à la frontière, chacun s’oppose sur les deux seules options possibles pour traiter cette question des réfugiés entrés illégalement sur le territoire français : soit d’une part les renvoyer dans leur pays d’origine, soit les conserver sur le territoire.

C’est tout l’enjeu de cette polémique plus qu’ancienne : que fait-on des clandestins ? Car, au delà des déclarations grandiloquentes de l’une et l’autre partie (à savoir le gouvernement d’une part et les différentes organisations et collectifs de l’autre), cela pose de vraies questions humaines, éthiques, sociales et économiques. Il ne faut pas se voiler la face; chacune des deux options renvoient en effet à différents aspects de ces questions.

Le problème des réfugiés clandestins pose tout d’abord des questions humaines. Avant même de parler de clandestins, on parle de réfugiés. Cela implique donc que ces êtres humains ont fuit une situation qu’ils jugent dangereuse et qui menace leur existence. Ces situations peuvent être un conflit (guerre civile ou impliquant une puissance extérieure), une famine, une situation économique particulièrement dégradée, etc. Il s’agit donc d’une nécessité vitale, d’une aspiration à la sécurité et donc par corrélation d’une application du droit à l’existence. Comment les-en blâmer ?
Néanmoins, s’ils fuient une situation humaine difficile et dangereuse, cette fuite même pose des problèmes humains, pour eux tout d’abord, mais également pour les populations des pays dans lesquels ils se rendent ou par lesquels ils transitent.
En effet, fuir implique un point de départ, un point d’arrivée, mais également un trajet, un parcours. Ce n’est un secret pour personne, les réfugiés voyagent rarement en business class sur Air France. La plupart du temps, s’ils quittent leurs pays, c’est que leurs conditions de vie ne leur permettent pas d’assurer leur subsistance et celle de leur famille. Impensable donc d’imaginer quitter le pays par des moyens exigeants des ressources financières dont ils ne disposent pas. Dès lors, toute tentative pour quitter le pays d’origine et par voie de conséquence, d’entrée sur un territoire étranger, ne peut s’envisager qu’en dehors du cadre officiel et légal. On entre alors dans le domaine dans la clandestinité. Dans le pire des cas, ces individus s’en remettent à des « passeurs » qui leur promettent de les mener à bon port.
Ce voyage se réalise donc avec des moyens de fortune, même lorsqu’il est « organisé » sous la houlette d’un passeur. Et c’est là que réside une autre facette de cette question humaine qui touche non seulement à la sécurité des individus, mais à leur dignité même. Car si ce qu’ils fuient constituent déjà une menace pour leur existence, les conditions de leur périple n’en demeurent pas moins du même acabit : moyens de transports hasardeux (radeaux, remorques ou essieux de camions, caisses, etc…), voyage long et fatiguant (la plupart du temps sans nourriture et sans eau), etc.
Toutefois, ces conditions inhumaines de voyages ne semblent être rien en comparaison de la situation que quittent les migrants.

Mais à l’arrivée, que se passent-ils ? Et là, intervient le troisième volet de cette question humaine à laquelle il faut adjoindre la question sociale. Une fois sur place, c’est-à-dire dans le pays de destination ou à proximité, que vont faire tous ces individus ?
Ils viennent pour trouver un travail, reconstruire une vie. La plupart du temps, tout cela doit être temporaire, le temps d’accumuler suffisamment d’argent pour pouvoir rentrer au pays après avoir passé des années à en envoyer à sa famille restée sur place. S’ils sont parvenus à s’intégrer et à entrer dans la légalité, c’est-à-dire s’ils ont tenus suffisamment longtemps sans se faire prendre, ils peuvent espérer obtenir un rapprochement familial. Mais pour tous les autres ? Ceux qui ne parviennent pas à trouver un travail ou qui ne sont qu’en transit avant de rejoindre la destination de leurs rêves ?
Pour ne prendre que le cas de la France, il leur est possible de demander l’asile politique. Mais ceci n’est possible que si, effectivement, leur destination est la France. En effet, un migrant qui souhaite rejoindre le Royaume-Uni se retrouverait bloqué en France par cette demande lui faisant perdre son objectif. Ainsi, ils ne leur restent plus qu’à patienter et tenter, encore et encore, de franchir la Manche, en espérant ne pas se faire prendre.

Car chaque pays a, depuis tout temps, des règles d’entrée et d’admission sur leur territoire qui leur sont propres. Tout le monde ne peux pas entrer et sortir du territoire comme bon lui semble. Il faut pour cela avoir un titre de séjour. C’est une question d’ordre public et de justice.
Un état se doit de protéger et servir d’abord ses ressortissants. Ensuite, en fonction de son histoire et de ses valeurs, il peut porter assistance à qui le lui demande.

La France a t-elle donc des obligations vis-à-vis des migrants réfugiés clandestins en transit sur son sol ?

Ces migrants ne sont pas des demandeurs d’asile, à l’instar des ex-occupants de la Jungle de Calais. Dès lors, du point de vue légal, la France n’a pas a appliquer la procédure à destination des demandeurs d’asile. Il n’est pas non plus envisageable de leur permettre de rendre leur séjour sur le territoire moins pénible par la mise à disposition de structures d’accueil temporaire à une époque ou le même état ne parviens pas à fournir des structures d’accueil pour les sans abris en situation régulière.
Il n’est enfin pas envisageable de leur faciliter le passage vers le Royaume-Uni ce qui serait une situation ubuesque et ferait le jeu des filières de passeurs, sans compter que cela ne serait pas forcément très bien vu par nos amis britanniques.

D’un point de vue social et économique, quand bien même la France déciderait de prendre sous son aile les clandestins en transit, de manière plus ou moins déguisée, cela poserait la question du coût et de la justification. La mise à disposition de structures engendrerait nécessairement des frais : construction, entretient, personnels, nourriture, etc. De plus, cet argent public le serait à perte, puisque la destination finale des migrants en transit est, par essence, hors de France.
Cela pose donc par corrélation un problème social. Comment justifier, aux yeux de l’opinion, des telles dépenses, alors que l’état est lourdement endetté et ne parvient pas à assumer une politique sociale complète à l’égard de ses propres ressortissants ?
Toutefois, il convient de noter qu’une politique de reconduite à la frontière comporte elle aussi des coûts. Elle implique en effet des effectifs de police, des services spéciaux, des opérations exceptionnelles, et l’affrètement d’avions, de manière individuelle ou conjointe, pour assurer le transport vers le pays d’origine. Sans parler du coût humain qu’implique un retour dans le pays d’origine, c’est-à-dire à une situation difficile voire même à la vindicte de ceux restés au pays et désireux de se venger des « traîtres expatriés ».

Il reste à évoquer les problèmes éthiques.
Est-il plus moral d’organiser une certaine tolérance vis-à-vis de l’immigration clandestine afin de rendre justice à la dignité humaine mais au risque de l’encourager et de passer pour un état permissif ou bien de faire preuve d’une certaine intransigeance, quitte à mettre en danger certains individus mais pour tordre le cou aux trafics d’êtres humains et assurer une certaine justice sociale au sein de son pays ?

La bienséance, la bonne pensée et le bon sens voudrait que l’on s’attache à répondre à la détresse humaine dans ses expressions et ses conséquences alors que la logique et la nécessité de la conduite de l’état impose de rechercher à traiter le problème à la racine, c’est-à-dire dans les pays d’origine. C’est en partie pour cela que les soldats français sont en Afghanistan. Il faut croire et espérer que si la situation sur place s’améliore dans des proportions notables, alors les flux de migrants clandestins en provenance de ce pays tendront à se réduire.

Dès lors, fallait-il renvoyer ces trois afghans chez eux ?

Au regard de la vocation humaniste de la France, on serait tenté de répondre non. L’Afghanistan est un pays meurtri, soumis a un terrorisme aveugle et qui n’est pour le moment pas maître de son destin. La sauvegarde de vies humaines devrait donc passer devant les considérations économiques et politiques.

Néanmoins, au regard des autres éléments, on pourrait répondre oui. En effet, en conformité avec le droit, des ressortissants étrangers en situation illégale n’ayant pas fait de demande d’asile relèvent du régime de reconduite à la frontière, que celui-ci soit volontaire ou contraint. Mais au delà de l’application stricte du droit, la reconduite doit elle être pondérée par d’autres éléments, comme par exemple la situation du pays d’origine ? Cela peut être envisagé, mais cela aura pour principal effet, comme pour toute entr’ouverture des règles d’admission sur un territoire étranger, d’accroître les flux en provenance des pays en tensions et par voie de conséquences les trafics qui s’agrègent autour.

Quelles sont les alternatives ? Il en existe peu. Soit la France ferme les yeux, permettant ainsi l’existence, le développement et la prolifération des filières illégales, véritables trafics d’êtres humains, ce qui serait en contradiction avec ses valeurs humanistes, soit on attribue de fait le statut de réfugiés politique ou le droit d’asile aux clandestins en transit ce qui serait un ersatz de régularisation massive et créerait une distorsion au sein du pays.

Dans tous les cas, la France a t-elle les moyens de conduire une politique en matière d’immigration clandestine ? Ne parvenant pas à répondre à la détresse et à la misère dans ses propres ressortissants sur son territoire (pauvreté, chômage des jeunes, etc…) on doute qu’elle ait les moyens d’apporter une aide concrète et pérenne aux clandestins, qu’elle soit officielle ou officieuse, sans parler du fait qu’il serait contestable de fournir du travail aux clandestins, même régularisés quand il est si difficile dans le même temps pour les jeunes diplômés (pour ne parler d’eux) de trouver un premier emploi !
Mais la France a t-elle les moyens de conduire l’autre pendant de la lutte contre l’immigration clandestine, à savoir œuvrer pour l’amélioration des conditions de vie dans les pays de départ et la reconduite des migrants interceptés sur son territoire ? Interventions militaires, coopération, aide humanitaire, transports, … autant d’éléments à la charge de l’état pour régler un problème dont elle n’est pas responsable. Victime de sa réputation, la France, à l’instar d’autres pays, doit gérer une partie de la misère du monde à l’insu de sa volonté et au moment ou sa situation intérieure, tant sociale qu’économique est désastreuse.

La reconduite de ces trois afghans peut apparaître comme maladroite puisqu’il s’agit de ressortissants d’un pays en guerre, une guerre qui n’est vraiment pas populaire et qui focalise les critiques à raison. Ce n’est pas de chance pour ces trois individus qui se trouvent au mauvais moment au mauvais endroit. Néanmoins, ils cachent l’ensemble des autres migrants, expulsés ou non de la Jungle, et qui sont encore sur le territoire, exception faites des mineurs isolés qui bénéficient à raison d’un statut spécial.

Si on sens le mal à l’aise de l’État sur cette opération (conjointe, avec un contingent restreint) avec une prise en charge à l’arrivée, elle reflète une volonté de fermeté en tentant de ne pas se départir des valeurs humanistes de la république. Partagé entre la volonté de protéger des individus et celle de prendre le mal à la racine, l’État semble avoir fait le choix difficile de mettre en œuvre une solution plus payante sur le long terme au risque de paraître impopulaire, inhumain et inconséquent.
Le maintien sur le territoire de ces afghans n’aurait pu être une solution au risque de créer une situation trop durable et sans issue.

En définitive, la résolution de ce problème, qui se pose un peu partout dans le monde, en réalité dans l’ensemble des pays considérés comme étant en mesure d’accueillir les gens dans le besoin, semble ne passer que par un seul élément : la paix dans le monde. Vaste programme !

Maître de ces lieux

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