Les quadras c’est sympa mais les trentenaires, c’est super !
On les voit partout. Ils occupent les plateaux télés, ils signent des tribunes dans les médias à la mode, la presse traditionnelle leur consacre des dossiers, on les retrouve dans les think-tank les plus actifs ou dirigent même des courants au sein de partis politiques… Bref, ils sont passé à l’offensive politique.
De qui parle t-on ?
Des jeunes pousses de la politique entre 30 et 40 ans, qui ont les dents longues et qui tentent de se bâtir une carrière politique à la force du poignet, sans être nécessairement issus du sérail ou d’une quelconque promotion de l’ENA.
Ces trentenaires ont bien compris qu’il y avait dans l’air comme un parfum de changement, et pas celui qui devait avoir lieu maintenant. La colère qui gronde silencieusement contre la classe politique en place et le sentiment de défiance à l’encontre de l’exécutif comme de la plupart des élus donne des ailes à cette tranche d’âge. Elle se présente comme l’avenir d’une politique française et européenne renouvelée, rompant avec les dérives de leurs aînés, tout en assurant une certaine continuité dans le registre des idées et de la doctrine.
Effet d’aubaine, carriérisme assumé, mouvement de l’histoire ou naïve illusion, comment expliquer l’arrivée sur le devant le la scène de cette génération ?
Time is over…
Si les plus jeunes parviennent à se créer un espace médiatique et une existence politique, c’est avant tout parce qu’ils profitent de la faiblesse de la classe politique en place. Une classe politique d’autant plus fragilisée par un ensemble de facteurs, qui, conjugués, semblent créer une fenêtre de tir aussi inespérée qu’opportune.
Le principal de ces facteur est l’un des nombreux reproches que l’on a pu adresser – et que l’on adresse toujours – à notre classe politique française, à savoir son manque de renouvellement, et par ricochet, son âge avancé. Pour le constater, il suffit de regarder la moyenne d’âge des parlementaires sur les 40 dernières années pour se rendre compte que cette dernière a augmenté à mesure que le temps et les mandats passaient.
Cet état de fait est le fruit d’une part d’une professionnalisation de plus en plus accrue de la vie politique, qui est devenue (à tort ou à raison) un métier à temps plein, et d’autre part de l’absence de limites dans la confiance que peuvent leur accorder les électeurs. Grâce au jeu des étiquettes politiques, renforcé par le système des investitures, de la prime au sortant qui joue sur la réputation du personnage, ou encore l’extrême rareté des peines d’inéligibilité pour les élus condamnés, sans parler de ce que l’on nomme les « fiefs » électoraux, il est courant de voir des élus enchaîner les mandats sur plusieurs décennies.
Tout le paradoxe réside dans cette critique du « non renouvellement des élites » conjugué à une confiance sans cesse renouvelée par une majorité des électeurs à ces élus. Pour qu’un élu cesse de l’être, on pourrait lui interdire de se présenter, ce qui pourrait être le fait d’une condamnation judiciaire sanctionnant un délit, ou bien d’une loi interdisant d’occuper un mandat au delà d’un nombre donné ou d’une limite d’âge, ou tout simplement, de ne pas voter pour lui et d’élire un autre prétendant.
Et si au final nos élus ont vieilli avec le système, c’est que le système démocratique qui est le notre le permet ! En dehors de la limite à deux mandats pour le chef de l’état entrée en vigueur en 2008, rien n’empêche un député de l’être pendant toute sa vie. Et cette addition de mandats dans le temps n’est pas le dévoiement de notre démocratie car rien n’oblige les électeurs à accorder leur suffrage élection après élection aux mêmes candidats. Bref, les citoyens créent eux-mêmes le mal qu’ils dénoncent !
C’est sur ce sujet d’un nécessaire renouvellement du personnel politique et de son rajeunissement qu’avait déjà tenté de surfer la génération des quadras, autant de gauche que de droite. Cette génération qui gravitait autour du pouvoir sans parvenir à l’exercer était finalement celle qui voyait son avenir « professionnel » en politique largement obstrué et qui la première avait un intérêt dans la critique de la monopolisation des postes par leurs aînés.
Un temps à la mode, ces jeunes loups, Sarko boys à droite, et chasseurs d’éléphants à gauche, ont semble t-il disparus des radars médiatiques, sans doute à la faveur de l’accession pour certains à des postes de ministres ou de hauts fonctionnaires. C’est que loin d’avoir pu et su profiter de leurs nouvelles positions, ces quadras ont été entraînés malgré eux dans la tourmente de la crise et assimilés à cette classe politique vieillissante et crispée sur ses positions tant décriées. Leur proximité avec le pouvoir a eu un effet inattendu de contagion, et le regard porté sur la frange la plus ancienne de la classe politique a aussi atteint les plus jeunes. Sans compter que, plus « neufs » sur la scène politique, ces derniers sont plus exposés et victimes de la vindicte populaire et médiatique, et plus volontiers sacrifiés par leurs aînés. Le cas Gaymard en est l’une des illustrations les plus emblématiques. Bref, une génération « sacrifiée »
Winter is coming…
Les trentenaires seraient donc la relève d’une classe politique défaillante, usée, décadente, et ce dès les prochaines échéances électorales, c’est à dire pas plus tard qu’aux municipales de 2014. Et c’est que cette génération a des arguments à faire valoir pour preuve de sa bonne foi. Née avec la crise, elle n’en connait que trop les effets. N’ayant connu qu’un monde en crise, qui d’autre qu’elle pourrait l’en sortir ?
D’autant que ceux qui étaient là avant la crise semblent bien impuissants ne serait-ce qu’à en limiter les effets. Quant à en sortir… N’ayant jamais été aux affaires, ou alors qu’à l’extrême périphérie, on ne peut l’accuser d’avoir eu un impact sur la situation actuelle. Vierge de toute action significative, qu’elle ait pu être positive ou négative, on ne saurait lui reprocher le moindre méfait. Dénonçant les dérives politiques, idéologiques, budgétaires, morales et économiques auxquelles on assiste « depuis 30 ans », elle ne saurait dès lors y être associée, contrairement aux plus anciens qui « depuis 30 ans » sont aux affaires.
A les en croire, nous serions donc rendus en un moment où la situation est tellement dramatique, les responsables politiques en place tellement hors course, la confiance des électeurs tellement entamée et le système tellement à bout de souffle qu’il serait grand temps de procéder à un grand renouvellement du personnel politique dont ils seraient les principaux bénéficiaires.
Providentiels, vierges de tous reproches, agitant les errances de leurs aînés et leurs collusions malsaines (qui avec l’extrême droite, qui avec des puissances d’argent, etc…), les politiques trentenaires seraient la solution à l’ensemble des problèmes du pays. Plus jeunes, mais aussi plus matures car forgés dans un monde en crise, plus ouverts sur le monde et ses problèmes, plus audacieux dans leurs réflexions, leurs diagnostics et leurs propositions, bref, plus « neufs », ils se défendent de toute démagogie et revendiquent une rupture avec le « monde d’avant ».
Les bonnes intentions c’est bien, mais…
Évitant l’écueil systématique d’un jeunisme ringard et se limitant à une série d’arguments simples, difficilement attaquables et qui ont le bon goût d’être dans l’air du temps, la mode des trentenaires est-elle pour autant parfaitement sincère et exempte d’arrière pensée ? D’ailleurs, cette mode est-elle le fruit du hasard ou le résultat d’un processus anticipé ?
Car s’il est malheureusement un art dans lequel les français sont devenus des experts, c’est bien celui de douter de la parole des politiques. Pas assez semble-t-il toutefois puisqu’une large part d’entre eux reconduit régulièrement les mêmes hommes politiques malgré leurs erreurs, leurs méfaits, au détriment d’hommes nouveaux aux discours séduisants.
Et les raisons de douter sont nombreuses. Les défaites de la droite en 2012, et préalablement celles aux élections intermédiaires conjuguées à la perte du Sénat, ont libéré un espace sans précédent de ce côté de l’échiquier politique pour ceux aux dents longues qui rêvent de se faire une place au soleil et qui se posent en porte étendard du redressement de leur famille politique. A l’autre bout, le long manque de leadership à gauche, curieusement couronné au final par une mainmise quasi exclusive sur l’ensemble des institutions (certes désormais presque réduite à néant par les affaires, les couacs et autres faiblesses), a contribué à créer un boulevard à l’arrière garde qui attend son heure. Quant au reste du paysage politique, dont l’unique credo est une transformation radicale et plus ou moins pacifique du système, il est le terrain de jeu absolu pour ceux de cette génération aspirant à exercer des fonctions politiques, bien que sur cette portion de l’échiquier leurs chances soient plus qu’infimes…
Bref, il semble bien chimérique de voir dans la propulsion de cette « nouvelle génération » un miraculeux renouvellement du personnel ou de la pratique politique dans notre pays. Bien au contraire, on peut y lire d’abord une subtile tentative de la presse de dépoussiérer ses pages politiques pour se sortir d’une routine désormais suicidaire tant ses ventes sont en chute libre. Ensuite, profitant de cet effet de loupe, l’arrivée sur le marché de ces nouveaux jeunes constitue un relais de croissance pour les formations politiques desquelles ils sont issus, concourant ainsi à maintenir ces dernières dans la course pour le pouvoir. Enfin, derrière des intentions – probablement louables chez certains – prenant la forme d’une fausse ou d’une touchante naïveté, il faut y voir la recherche de l’accomplissement d’un destin personnel et l’espoir d’une carrière politique brillante, bien entendu au seul service de l’intérêt général…
The end is the beginning is the end
Expérience rime t-elle nécessairement avec efficacité, ancienneté avec obsolescence et jeunesse avec renouveau ? L’équation semble bien difficile à résoudre tant il existe une tolérance à l’échec et à la médiocrité entretenant un cercle vicieux nous empêchant de sortir définitivement du marasme ambiant. Bien qu’il faille se garder de généraliser et de jeter une opprobre malsaine sur l’ensemble des élus ayant effectué deux mandats ou plus, on ne peut que se poser la question pour ceux qui sont en place depuis le plus longtemps pourquoi, avec tant d’expérience, de sagesse et de compétences accumulées, nous nous retrouvons dans une situation structurelle et morale pire qu’à leur arrivée aux affaires.
Mais dans le même temps, il serait illusoire de considérer qu’un homme ou une génération providentielle tirant profit de sa relative virginité politique (relative car on n’arrive pas en politique sans engagements préalables) puisse incarner à la fois un rebond nécessaire de notre vivacité démocratique et un véritable renouvellement humain et idéologique, tant les schémas de pensée, le socle dogmatique et plus tristement la façon d’envisager la pratique de la chose politique semblent figés. Tant que l’on n’aura pas consciencieusement redéfini cette dernière, l’important ne sera pas de savoir qui fait de la politique mais plutôt ce que l’on veut faire de la politique.
Et comme disait le poète : « Qu’est ce qu’un vieux con ? C’est un jeune con qui a vieilli ».