Monopoly du cul
Livres

Monopoly du cul de Aline Tosca

Qu’est-ce qui ne vas pas avec la littérature érotique française ?

On a eu tendance à l’oublier face au succès de « 50 nuances de Grey », mais la littérature érotique – le terme « littérature » n’émettant aucun jugement de valeur quant à la qualité du genre – a toujours existé.

Bien entendu, il s’agissait d’un genre perçu comme assez mineur, plus largement représenté par ce qu’on appelle les « romans à l’eau de rose ».

Cela reste assez « soft« , un peu cul cul, et surtout compte tenu du cahier des charges de ces collections, on a plus l’impression d’être au buffet d’un hôtel intercontinental que chez un étoilé iconoclaste. Ça doit plaire à tout le monde et pas trop clivant.

Ce que « 50 Nuances de Grey » a changé c’est le regard porté sur le genre. On a (re)découvert que Mme Michu pouvait avoir une libido ou le besoin de la stimuler. Mais cela a surtout (re)mis en évidence le marché qui existait pour ces ouvrages.

Le plus vieux sujet du monde

Aussi, cela a ouvert l’appétit de tous ceux qui voulaient se tailler une part du gâteau. Si l’on conjugue cela à la démocratisation des outils d’écriture, à l’explosion de l’autoédition qui bénéficie d’une simplification de la diffusion des livres numériques, support de lecture qui entre de plus en plus dans les pratiques, on assiste à une explosion des parutions de titres dans le genre.

Mais au-delà de ce constat, un dernier élément vient éclairer les transformations qu’a subit le genre ces dernières années. Et deux éléments entre en ligne de compte.

D’une part, si Mme Michu s’adonne à des lectures érotiques, elle l’assume, là ou auparavant il s’agissait d’un plaisir coupable (et un peu honteux). D’autre part, les attentes des publics de ce genre sont… différents. J’allais dire « plus élevés », mais ça ne serait pas très approprié. Elles sont plus élevées dans le sens où les lecteurs attendent plus de sexe et moins d’érotisme. Tout cela est du à la démocratisation de la pornographie dont l’accès est simple et là aussi décomplexé.

En conséquence, il est logique qu’à côté de contenu toujours plus visuels et « extrêmes », la littérature érotique glisse de l’érotisme vers la pornographie.

Nous avons donc un cocktail détonnant : la simplification de la production et de la diffusion de contenus écrits, la perspective de gains lucratifs et des barrières du genre qui ont sautées. En résulte donc un déferlement de « livres », considérés comme érotiques, mais dont le contenu est de plus en plus explicite pour ne pas dire trash. Hard, comme on dirait sur Pornhub.

More is gore

Mais ce n’est en fin de compte pas le fond qui pose problème. D’aucun porterait des jugements de valeur sur l’existence même de ce type de littérature. On ne s’en est jamais privé du reste. Demandez à un catholique pratiquant ce qu’il pense de la série SAS de Gérard de Villiers ou bien de la collection Arlequin. Sauf à tomber sur un individu très ouvert d’esprit (si si ça existe !) ou un curieux afficionado, vous avez de grande chances d’entendre une condamnation en règle, invoquant le caractère sacré du corps humain et de la procréation. Chacun voit midi à sa porte. Là n’est pas le sujet.

Il y a un public pour ces ouvrages, quelles que puissent être les motivations poussant à leur lecture. Ce qui pose problème en revanche, c’est la dérive poussée à l’extrême sur chacun des points cités précédemment. Le passage du soft au porno entraine une surenchère dans les pratiques qui sont décrites. On constate cela également dans l’industrie de la pornographie. Les consommateurs, habitués au produit de base, en demandent toujours plus. Parfois, et souvent, au détriment des gens qui sont impliqués (quoiqu’en pensent pourtant ceux qui regardent). Non, une jeune fille de 19 ans ne rêve certainement pas de se réveiller un jour pour se faire culbuter par 70 verges, le tout en se faisant uriner dessus, sans parler des claques qu’elle se prend au passage…

Même si à l’écrit cela renvoie une image erronée et dangereuse de la sexualité, au moins peut-on se consoler en se disant que, dans les livres, personne n’est impliqué physiquement…

Cette surenchère conduit les auteurs (et autrices, pas de jaloux) à vouloir en mettre toujours plus, au détriment bien entendu de l’histoire. On est d’accord que ce type de contenu (écrit ou visuel) ne doit pas son succès à la qualité de ses scenarii. Combien de fois s’est-on moqué d’une histoire à base de plombier ou de mécanicien qui se dévêtissent au bout de deux minutes ? L’objectif, c’est de montrer du cul. Et vite. Et beaucoup.

Du coup, pour ne parler que des livres, qui doivent utiliser des mots ne serait-ce que pour suggérer des choses, là ou en vidéo cela peut être réglé par une ou deux images ou accessoires, la tendance naturelle est de réduire à la portion congrue les lignes et les pages où il n’est pas question de copulation. Cela donne au final des récits pas vraiment fluides (vous avez l’image ?) et, même lorsque l’on sait évidement que ce n’est pas le cœur du récit, une lecture presque pénible.

Pour accompagner cette surenchère, les auteurs de ces ouvrages abusent également de la facilité avec laquelle il est possible de les produire et de les diffuser. A l’heure où il faut proposer toujours plus de contenus, il est d’usage de voir un ouvrage découpé en plusieurs tomes de manière assez artificielle. Le plus souvent trois pour être conforme à la doxa imposée par Star Wars. Chaque opus n’est constitué que de quelques pages et tout le contenu pourrait s’entendre aisément en un seul volume. A part démultiplier le poids des fichiers diffusés, car ces pratiques ne semblent pas être pratiquées à un si haut niveau lors du passage au papier, cela n’a que peu d’impact. Mais cela témoigne de l’aspect plus mercantile « qu’artistique » de la démarche, ce qui est préjudiciable pour les auteurs comme pour le genre, qui sait produire par ailleurs de très bon ouvrages.

Et donc, Monopoly du cul, en vrai, ça donne quoi ?

S’il ne tombe pas dans ce travers, Monopoly du cul est pourtant un mauvais livre érotique.

Pourtant le pitch avait l’air innovant. C’est d’ailleurs presque uniquement à cela que je décide ou non de passer quelques minutes à lire ces cours textes.

Le fil directeur de l’histoire, pourtant faiblard, n’est pas tenu et même les quelques scènes érotiques peinent à convaincre.

Il faut se réjouir que l’on puisse aujourd’hui publier sans trop de peine une œuvre de l’esprit sous quelque forme que ce soit (vidéo, texte, audio, visuel, etc.). C’est un progrès pour tout le monde. La contrepartie, c’est qu’on peut obtenir ce genre de production, qui, même replacée dans leur contexte et leur cible, n’atteignent même pas les standards pourtant peu élevés auxquelles elles devraient et pourraient prétendre.

Bref. Même si vous êtes adepte du porno littéraire, passez votre chemin sur ce bouquin. Préférez lui les biens plus élégants et meilleurs ouvrages de la série « Hadès et Perséphone » ou profitez de ce temps gagné pour pimenter vous même votre vie de couple 😉

Maître de ces lieux

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