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Portal, Science [Patate] et Jeu Vidéo d’Eva Cid Martinez

Portal est un jeu génial.

Portal est un jeu révolutionnaire.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais Eva Cid Martinez dans son éloge du titre vidéoludique « Portal, Science, [Patate] et jeu vidéo ».

Et quand on dit « génial », ce n’est pas un « génial » banal, vulgaire et bas du front lancé nonchalamment à la Cantonnade quand votre coloc vient vous annoncer fièrement qu’il a enfin réussi à conclure avec Marie, la petite célibataire du 3e étage.

Non. Par « génial », il faut entendre le sens étymologique du mot : qui relève du génie !

Car indéniablement, Portal et sa suite Portal 2 ont portés au pinacle du panthéon vidéoludique un gameplay et un game design résolument aboutis.

Pour ceux qui n’y auraient jamais touché, Portal et Portal 2 vous mettent dans la peau d’un avatar dont vous ne voyiez (presque jamais le corps) ni n’entendez la voix. Armé d’un « portal gun » qui vous permet d’ouvrir une porte bleue et une porte orange qui communiquent (vous entrez par l’une et vous ressortez par l’autre), vous devez traverser une succession de salles de « test » en résolvant le parcours qui vous est proposé à l’aide de ces fameux portails. Vous êtes accompagné par la voix de GladOS, intelligence artificielle qui gère le centre de test, et qui supervise votre progression. Au fil des salles, vous parvenez enfin au terme du parcours, mais je n’en dirais pas plus 😊

Imité, jamais égalé

Sans prendre le risque de l’hyperbole injustifiée, Portal touche la perfection.

La perfection, ce n’est pas quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retirer. Dans Portal chaque élément, chaque détail est disposé avec soin et contribue chacun à non seulement donner corps et cohérence à l’univers mis en place, mais sont surtout autant de marqueurs du parcours du joueur qui se trouve ainsi aiguillé sans s’en rendre compte. Cela témoigne d’un véritable travail d’orfèvre doublé d’un très grand respect pour le joueur.

Loin des tunnels aseptisés de certains titres (God of War, Bioshock, etc.) ou des graphismes clinquant et putassier de titre balourds (coucou COD) qui cherche par là à masquer la pauvreté de leur scenario (quand il y en a), Portal déploie un propos visuel et narratif élégant, cohérent et subtil.

Appartenant à la famille des Puzzle Game, qui mettent hautement le joueur à contribution, le fond et la forme de Portal sont conditionnés à la fois par les mécaniques de jeu inhérente à ce type de jeu mais également par les limites (ou limitations) techniques à l’époque où ces deux jeux ont été publiés, respectivement en 2007 et 2011.

Mais s’il pu être éclipsé d’un point de vue graphique ou d’un point de vue scénaristiques par des jeux ayant mis ostensiblement en exergue ces deux aspects de leurs titres, aucun titre n’a su (ou pu) atteindre le niveau d’excellence de Portal. Même d’autres jeu de type Puzzle Game ne sont pas parvenus (quand ils le visaient) à reproduire l’alchimie produite par Portal entre un gameplay épuré évoluant dans un univers dense au travers d’une narration ciselée.

La comédie, c’est la tragédie plus le temps

Eva Cid Martinez nous gratifie donc d’un ouvrage passionné et passionnant au sujet de ce jeu, Portal donc. Sorti en 2007 dans une relative discrétion, au sein d’un pack, la désormais fameuse « Orange Box » de Valve, le jeu conquiert le cœur des gamers. Il va dès lors intégrer le panthéon des classiques intemporels du jeu vidéo tels qu’on pu l’être avant lui Super Mario Bros, Tetris ou Zelda.

Le livre nous présente donc la genèse du projet. Au départ simple projet étudiant, l’aventure va conduire l’équipe derrière le jeu à rencontrer puis intégrer les équipes de Valve, l’entreprise derrière le non moins reconnu Half-Life.

L’auteur nous décrit en détails les étapes ayant conduit au développement du premier puis du deuxième opus, en appuyant à chaque fois sur les ambitions et les contraintes que se sont imposé les concepteurs.

Mais bien plus que le « simple » processus créatif, avec tout ce que cela implique de décisions ou d’obstacles, c’est tout le langage visuel et ludique qu’Eva Cid Martinez nous donne à voir, à toucher et à comprendre.

Et si l’on doit convenir d’un fait c’est que rien, absolument rien, n’a été laissé au hasard. Les mécaniques de gameplay sont mises en place progressivement de manière itérative et sont découvertes intuitivement par le joueur. A l’heure où de plus en plus de jeux prennent littéralement le joueur par la main à grand renfort de flèches, de marqueurs ou de QTE fainéantes pour être certain que le joueur agisse selon la doxa des développeurs, Portal parvient au même résultat à travers le prisme de ses seules mécaniques de jeu, tout juste rappelées par des plaques au sol avec de simple pictogramme (auquel on ne prête d’ailleurs pas forcément attention).

Vous et moi avons dit des choses que vous allez regretter

Rien n’a été laissé au hasard non plus dans la construction du « monde » dans lequel le joueur évolue. Une prouesse quand on sait que les seuls environnements traversés sont des salles aseptisées et, dans le cas de Portal 2, de vastes salles souterraines en ruine. Le « monde » ne nous est connu et décrit qu’à travers la parole de GladOS et Whithley (Portal 2), deux robots attachés à ce centre de test si particulier et dont la première semble entretenir des liens de parenté avec notre avatar.

On devine à travers leurs mots (auxquels s’ajoutent ceux de Cave Johnson, fondateur d’Aperture Science dans le second opus), auxquels nous ne répondons jamais verbalement puisque notre avatar est muet dans les deux opus (ce qui démontre encore une fois le talent des concepteurs), que nous prenons conscience de l’univers dans lequel nous évoluons. Un univers fait d’expériences scientifiques étranges dans un but inconnu mais que l’on devine tout aussi bizarre.

Mais aussi bizarre que puisse paraître l’environnement que l’on parcourt, les choses que l’on est amené à y faire à travers ces tests, et ce que l’on vous dit de ce qui entoure le centre, tout est absolument cohérent et crédible. L’immersion est donc complète et c’est là encore un point qui rend ce jeu si unique et mémorable.

Science sans conscience

Portal, Science [Patate] et Jeu Vidéo d’Eva Cid Martinez, dont rien que le titre comporte un spoil d’ampleur, nous invite à nous pencher sur le rapport de la licence avec la science.

Il est vrai que l’univers de Portal entretient un rapport intime avec la science. Celui-ci tient avant tout d’une relation par l’absurde, mais la science est belle et bien présente tout au long des deux opus.

L’auteur démêle les liens de cette relation fusionnelle faisant la part des concepts fantaisistes des véritables informations et enseignements procurés par le jeu. Elle illustre parfaitement à quel point Portal est un objet d’apprentissage en exposant plusieurs cas pratiques d’utilisation du jeu en classe par des enseignants américains.

Et on touche alors là la quintessence du jeu : apprendre sans en avoir conscience. La plus belle expression de l’utilité d’un jeu est ce que l’on en retire. N’apprend-t-on pas mieux en s’amusant ? Le phénomène actuel d’amplification de la ludification de l’enseignement est le témoin que ce vecteur d’apprentissage intemporel retrouve ses lettres de noblesse.

Sale monstre

Que l’on doit ou non joueur de Portal, le livre d’Eva Cid Martinez nous donne un éclairage incroyablement complet de son sujet. Exhaustive dans son approche, son propos assez novateur nous amène à embrasser tout ce qui tourne autour de Portal, de sa conception jusqu’à ses utilisations concrètes (par des professeurs ou des joueurs passionnés) en passant par les influences qu’il a eu ou son rapport à la science.

Si vous n’avez jamais mis les doigt sur Portal, remédiez-y vite en vous le procurant sur Steam (il y est régulièrement en promotion). Et si, comme moi, vous avez déjà poncé plusieurs fois les deux opus, cette lecture sera pour vous l’occasion de vous replonger dans ce dédale de salles redoutables !

Déjà mordu du jeu (surtout du 2), j’ai une affection toute particulière pour ce livre qui parvient à célébrer le jeu vidéo quand la tendance est plutôt à diaboliser le medium, accusé de tous les maux et violences de notre époque.

Une véritable déclaration d’amour à Portal et au jeu vidéo en général !

Maître de ces lieux

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