Cinéma

Vice d’Adam McKay : tout sur Dick Cheney

Vice est un film américain, réalisé par Adam McKay (The big short) et distribué par Annapurna Pictures  aux États-Unis et par  Mars Distribution en France.

Le film nous raconte la vie de Dick Cheney, homme politique et homme d’affaire en vue dans les années 70 et 80. Il est surtout connu pour avoir été le colistier et vice-président de George W. Bush, 43e président des Etats-Unis d’Amérique de 2000 à 2008.

Le film tire son titre de ce dernier poste d’influence qu’il occupa et fait écho aux manœuvres que Dick Cheney mit en œuvre tant en matière d’enrichissement personnel que de dérives politiques.

Le rôle-titre est interprété à l’écran par Christian Bale. Le reste du casting trois étoiles met en scène de nombreux personnages de l’administration Bush bien connus du grand public. Donald Rumsfeld y est notamment campé par un Steve Carel resplendissant.

Ce film est une véritable réussite visuelle, scénaristique et intellectuelle.

Un scénario en béton

Bien que racontant la vie de Dick Cheney, le long métrage n’adopte pourtant pas le cadre d’un classique et banal biopic standardisé. S’il y a bel et bien une trame chronologique, le film s’attache avant tout à explorer et mettre au jour la façon insidieuse dont le discret Dick Cheney parvient à s’emparer du second rôle de l’État américain.

Car s’il ne s’est jamais véritablement exposé sur le devant de la scène politique, il fut malgré tout l’artisan d’une transformation de l’exécutif vers un rôle absolu et omnipotent.

Pour cela il s’appuya sur la théorie du … elle-même fondée sur une interprétation de l’article 2 de la constitution. Selon cette théorie, rien ne saurait être supérieur à l’impératif qu’a le président des Etats Unis de protéger le peuple américain. Ainsi, il est possible de se dispenser en certains cas de l’avis et du contrôle du parlement (chambre et sénat) dès lors qu’il est question de la sécurité des américains.

La mise en œuvre de cette théorie explique les nombreuses dérives opérées après les attentats du 11 septembre et lors de la guerre en Irak.

En cela, le film est très éclairant sur les mécaniques à l’œuvre dans l’escalade de violence et de violation des droits de l’homme : manipulations de l’opinion, interprétation des faits et des documents, etc.

Mais au-delà de cette période, qui constitue la fin de sa carrière politique, le long métrage nous donne à voir les débuts de cette carrière, largement méconnue de notre côté de l’atlantique. Son ascension progressive dans les rouages de l’administration et de la maison blanche sous les présidences de Nixon ou Reagan débute sous l’aile de Donald Rumsfeld, personnage bien connu de l’administration Bush.

Quelles sont nos convictions ?

Le choix de Cheney de se porter sur Rumsfeld ne tient qu’à la personnalité et au franc parlé de ce dernier. D’ailleurs, le film ironise très largement sur « les convictions » de ceux qui occupent ces postes à responsabilité. « Rumsfeld est républicain ? OK. Je serais donc républicain. ». « Mais au fait, quelles sont nos convictions ? ». Ce à quoi Rumsfeld répond par un grand éclat de rire.

S’il fallait encore en douter, l’intérêt des américains semble passer au second plan derrière les intérêts personnels et d’affaires.

Le film met enfin en scène la vie familiale et personnelle de Dick Cheney. Ses excès, qu’il s’agisse d’alcool dans sa jeunesse ou de bonne chaire au fil du temps, qui le conduiront plusieurs fois à l’hôpital en raison des fragilités de son cœur.

Raconté par un narrateur dont je vous tairais l’identité, le film excelle en cela que les « trous » inévitables que la documentation ne permet pas de combler, sont très élégamment gérés avec des dialogues décalés qui laissent imaginer la teneur de ces instants « off the record » sans chercher à les recréer de manière artificielle.

Le ton du film est résolument à charge et hostile à Dick Cheney, et plus largement au camp républicain. Mais la démarche presque documentaire du long métrage en fait avant tout un objet de réflexion avant d’être un simple film engagé.

La deuxième réussite du film est donc intellectuelle.

Méditez, méditez…

S’il en était encore besoin compte tenu du nombre incalculable d’œuvre de fiction décrivant par le menu les rouages du monde politique américain, le film nous donne à voir la fabrique du pouvoir aux États-Unis. Il se concentre tout de même sur deux périodes clés : la présidence Nixon et celle de George W. Bush.

La première se termine par la démission du Président à la suite du scandale du Watergate. La seconde met en scène un homme politique largement inexpérimenté, peu sur de lui, qui n’a pour lui que son nom et qui recherche en Cheney une caution politique.

C’est cette inexpérience conjuguée à la faiblesse de l’individu qui laissera le champ lire à Cheney pour mettre en œuvre son projet politique et intervenir directement dans la vie politique du pays, alors que le rôle du vice-président est avant tout symbolique. Les conséquences de cette prise de pouvoir se font encore sentir aujourd’hui…

Le long métrage s’attarde évidement sur le rôle joué par Cheney dans le déclenchement de la guerre en Irak et sur les manipulations mises en œuvre. Le film absout par la même occasion Colin Powell, secrétaire d’état à la défense de l’époque, qui, en ce temps, paraissait pour un va-t’en guerre alors qu’il n’était pas partisan de cette intervention.

Les conséquences de cette guerre dans l’état du monde d’aujourd’hui sont pleinement mises en lumières. Et pour qui le découvrirait : c’est édifiant…

Féroce, le film nous oblige à interroger le rôle du politique et nuancer la « nouveauté » de certains discours. Des extraits savamment choisis de discours prononcés dans les années 80 font étrangement écho (presque au mot près) de discours prononcés par Donald Trump ou Emmanuel Macron.

Non content de nous enseigner des choses et d’alimenter notre réflexion, le film a le bon goût d’enrober son message dans une esthétique réussie.

Vice est une réussite visuelle.

Un bel objet cinématographique

En tout premier lieu, le travail de montage effectué est bluffant. Dans la veine de cette frange de film américains d’opinion, présentés sous forme de fiction, l’enchaînement des plans adopte une forme presque nerveuse. Parfois douce et tantôt abrupte, les transitions donnent un vrai rythme au long métrage.

Ensuite, certains plans sont d’une extrême puissance visuelle. La réalisation prend un malin plaisir à insister sur certaines situations ne mettant pas spécialement Dick Cheney en valeur. Ces plans sont particulièrement longs et, à la manière d’un Tarantino, insiste par cette longueur sur le message délivré. La scène de la transplantation cardiaque, laissant apparaître la cavité cardiaque complète vide, dure là aussi assez longtemps pour que le spectateur puisse se faire la réflexion que finalement, il ne s’agit rien de moins que d’un homme sans cœur. Subtil.

Quels talents !

Mais là où Vice sublime son propos, c’est à travers le jeu de ses acteurs. Christian Bale campe à la perfection Dick Cheney, que celui-ci soit athlétique dans ses jeunes années avec un physique, dégarni à l’approche de la cinquantaine ou bedonnant à un âge avancé. Le travail de maquillage est exceptionnel et, si l’on devine toujours les traits de l’acteurs, ceux-ci se font largement oublier derrière la carrure imposante qu’il incarne. Le travail sur la voix est également impressionnant. Une économie de mots, posés dans un murmure caverneux renforce bien l’idée que l’on est en présence d’un homme nimbé de mystères.

Mention spéciale pour Amy Adams, une actrice que j’aime beaucoup. Elle livre ici une performance rafraichissante quoiqu’il faille admettre qu’elle ne vieillit pas autant à l’écran que son mari de vice-président.

Si Steve Carell surjoue par moment, mais jamais trop pour que cela soit dérangeant, il n’y a rien à redire sur les acteurs et leur présence à l’écran. Leur jeu sonne juste.

Pour les besoins de l’histoire et de la vraisemblance, puisqu’il s’agit pour certaines scènes de faits réels, le rôle des décors est primordial. Certains ont été recréés via trucages. C’est notamment le cas du discours de George W. Bush sur le porte-avions à la fin de l’intervention en Irak. Dans tous les cas, le soin du détail est présent et l’immersion de spectateur total.

Le travail sur la lumière mérite d’être noté. Excellement bien dosée, elle concourt à l’esthétique globale et n’est jamais prise en défaut (ce qui n’est hélas pas forcément le cas sur tous les longs métrages).

Un dernier mot concernant la bande son (oui, je sais, ça sort du cadre visuel !). La bande originale est excellente et accompagne toujours discrètement l’image.

Foncez

Vice est une véritable réussite. Avec un propos pas forcément évident, le réalisateur parvient non seulement à faire le tour de son sujet mais également à faire passer plusieurs messages forts.

Réussite visuelle et scénaristique, le long métrage réussi le pari de proposer un récit à mi-chemin entre le biopic et le documentaire, le tout servi par un casting impeccable, une bande son irréprochable et une réalisation franche et maîtrisée.

Maître de ces lieux

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