Le naufrage du Titan
Peu de récits pourraient égaler la prouesse visuelle, presque viscérale, que représente le film Titanic de James Cameron pour évoquer le naufrage du célèbre paquebot.
Réputé insubmersible, tout ce qui a trait à cette catastrophe atteint un niveau légendaire. Nombre de canots insuffisant, absence de jumelles dans le poste de surveillance, mer d’huile réduisant la possibilité d’apercevoir les blocs de glace à distance, naufrage lors d’une traversée inaugurale, vitesse trop élevée empêchant les manœuvres.
La liste et longue et tout ou presque laisse penser que les personnes à bord ont voulu créer un cas d’école en matière de catastrophe maritime.
Malgré tout, le naufrage du Titan de Morgan Robertson, dont le titre original est Futility, parvient à surpasser tout cela.
Et cela pour deux raisons.
Un récit prophétique
D’une part parce que l’ouvrage a été écrit en 1898. 14 ans avant le naufrage. Plus interessant, c’est 9 ans avant même que le projet du Titanic ne soit lui-même imaginé.
Ce qui frappe ensuite, c’est l’acuité, pour ne pas dire la prémonition de l’auteur. Non seulement il a décrit, certes brièvement, le naufrage d’un navire au nom très proche, mais son tour de force aura été de le décrire avec des spécifications d’une ressemblance troublante avec le véritable Titanic. Ses dimensions, son tonnage, sa motorisation, etc.. Les écarts ne sont pas nombreux et de plus, assez légers.
L’auteur a t-il eu une prémonition ou, comme il l’a lui-même laissé entendre, une inspiration divine ?
La chose est suffisamment troublante pour ne pas se demander légitimement comment un tel prodige a été rendu possible. Avait-il eu vent de certains projets ? Même neuf ans avant les prémices du projet, ce n’est certes pas impossible, mais avouons que c’est peu probable.
Par ailleurs, même s’il était monnaie courante de croiser des icebergs lors des traversées transatlantiques(ça peut être tout aussi fréquent de nos jours mais de toutes autres raisons…), la description de la collision du navire avec un monstre des glaces est une coïncidence des plus surprenantes.
Si ce que l’on retient surtout du naufrage du titan est sa similitude, fictionnelle, avec le véritable naufrage du Titanic, il ne faut pas oublier que cet épisode n’en constitue au final qu’une toute petite partie.
Des hommes sur un bateau
Le naufrage du titan raconte moins l’histoire d’un naufrage, que celle de la rédemption d’un homme, dont le destin est transformé par cet épisode funeste.
Matelot à la réputation d’ivrogne, au passé chahuté, il devient un héros malgré lui en sauvant la fille de celle dont il s’était éperdu. Le récit du sauvetage, un brin grandiloquent, est pourtant d’une redoutable efficacité.
Puis vient l’après. La gestion de la catastrophe par les assureurs et le coût exorbitant que les négligences du personnel naviguant, dont une partie importante à survécue ce qui leur permet de rendre effectivement des comptes dans cette réalité là, ont entraîné.
C’est aussi un témoignage direct de l’époque et de son ambiance. Raciste et antisémite, surtout par rapport à nos standards actuels. Les descriptions de certains personnages y sont caricaturales, teintées de préjugés, qu’il s’agisse des femmes, des juifs ou des américains.
Quand on prend la peine de replacer cela dans son contexte, tout aussi inacceptable que puissent avoir été ces propos, cela n’enlève pas grand chose au livre. Cela ne lui apporte pas grand chose non plus il faut bien le reconnaître.
On passe assez facilement sur cet écueil car l’essentiel est ailleurs.
Le naufrage du Titan est un objet littéraire fascinant. D’une part évidemment par son côté prophétique. Mais aussi et surtout parce qu’il repose sur des éléments très simples : un bateau qui coule, tragédie qui sert de décor à un héros tout aussi simple, presque banal, à la limite de l’anonymat, y compris au sein même du roman, et qui se voie transfiguré par les épreuves.
Et si le naufrage du Titan avait été un succès ?
S’il est sorti dans l’anonymat général et qu’il aura fallu de (très) nombreuses années avant que l’ouvrage ne surgisse à nouveau, ce qui contribue là aussi à sa légende, la question qui reste posée est de savoir si, s’il était tombé entre les bonnes mains, la manière dont il décrit le péché d’ubris des navigateurs à la barre du “Titan” aurait pu dissuader de conduire le Titanic tel qu’il le fut lors de ce funeste voyage d’avril 1912 ?
A commencer par ne pas convoyer à une vitesse épatante, mais qui interdisait toute manoeuvre d’urgence. Ou bien encore de veiller scrupuleusement à avoir à disposition tout le matériel nécessaire pour prévenir les accidents et palier ensuite les conséquences si besoin.
Paradoxe de tout cela, si la catastrophe du Titanic n’avait pas eu lieu, toutes les règles de bonne conduite en mer qui ont été établies en réponse au drame n’auraient pas vu le jour ainsi, provoquant “peut-être” d’autres catastrophes.
L’adage dit “A toute chose, malheur est bon”. Dans chaque crise ou catastrophe se niche des opportunités. Opportunités de progrès dans le cas présent. Pas sur pour autant que les naufragés, leurs familles et ceux qui avaient un intérêt dans la White Star Line, se soient fait ce genre de réflexion en 1912.
Le naufrage du Titan est un livre qui vaut le détour. Tout autant pour l’histoire sidérante qu’il raconte que le coeur de son récit, articulé autour de Rowland. Si la traduction française accuse un peu le coup, c’est à peu près son seul défaut, qui ne retire rien au plaisir de la lecture.